Appartient au dossier : Grandeur et misère du drive

Clic et collecte
par Laurence Bassaler, directrice de la Médiathèque de Cestas

Médiathèque de Cestas, © Cestas

Présentez-nous votre établissement.

Cestas est une ville périurbaine de 17 000 habitants (à environ 20 kilomètres de Bordeaux). Elle ne fait pas partie de la Métropole mais appartient à une communauté de communes qui n’est pas dotée de la compétence culture.

Suite au nouveau « Schéma girondin de développement des bibliothèques et coopérations numériques 2017-2023 », la médiathèque de Cestas a intégré le réseau de Biblio.gironde (BDP de la Gironde), qui s’est ouvert à cinq villes de plus de 10 000 habitants hors Métropole.

L’équipe est composée de huit agents à temps plein. Elle est très qualifiée (2 A, 2 B+ et 4 C).

La médiathèque est ouverte 28h30 par semaine.

En 2020, nous comptabilisons 3 260 inscrits actifs et 58 000 documents (hors revues).

Parlez-nous de la mise en place du service de réservation à distance ? Dans quel contexte a-t-il été pensé, comment organise-t-on un tel service ?

Nous avons mis en place le « drive », le 26 mai 2020, afin d’offrir une alternative à nos usagers tant que les médiathèques n’avaient pas le droit de réouvrir.  Il s’agissait  de répondre à une forte demande de la part de nos usagers et d’assurer une continuité de service après une interruption forcée de plusieurs semaines. 

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? En termes techniques, logistiques mais aussi humains et managériaux ?

Au niveau technique, nous avons eu beaucoup de chance en termes de « timing » ; nous avons procédé à une réinformatisation en 2019 et notre fournisseur de SIGB a été extrêmement réactif et présent face à la situation inédite dans laquelle nous nous trouvions. Dès le début du confinement, il nous a signalé qu’il travaillait sur un module de « drive ». Il l’a développé et rendu opérationnel rapidement et gratuitement  pour l’année 2020 ! Par conséquent, dès que les médiathèques ont eu l’autorisation d’ouvrir un « drive », nous avons pu nous appuyer sur ce module, ce qui a largement facilité la mise en place logistique d’un tel service. Le plus compliqué a surtout été le paramétrage à mettre en place pour utiliser au mieux ce module : il faut comprendre « l’esprit » du module et repenser tous les paramètres existants (droits de prêts, plages horaires pour les prises de rendez-vous…). C’est un peu long et fastidieux mais grâce à la bonne maîtrise technique de plusieurs personnes dans l’équipe  nous avons réussi à le prendre en main relativement rapidement. 

Nous avons largement communiqué auprès de nos usagers par mailing, avec l’envoi d’un tutoriel, qui leur expliquait comment utiliser ce nouveau service. 

L’équipe était consciente de l’utilité de ce service dès sa mise en place. Les inquiétudes au départ ont porté sur la masse de documents demandés, nous n’étions pas préparés à devoir répondre sur un temps très limité à une demande aussi forte. Nous avons organisé des plannings (préparation des commandes, service public « drive »).

Mais ces inquiétudes se sont rapidement estompées pour laisser place à une autre dynamique, une réelle cohésion d’équipe est apparue. Chaque membre de l’équipe s’est senti investi et porté par ce projet nouveau et fédérateur où la transversalité est de mise.

Quels sont les retours des usagers ? Qui utilise ce service : des habitués ou de nouveaux publics ? 

Dans l’ensemble les retours des usagers ont été bons. Évidemment la limite de ce service est l’appropriation par les usagers d’un service uniquement via le numérique. Il  y a eu quelques réfractaires, pour lesquels nous avons mis en place un service par téléphone (nous réservions les documents et prenions un créneau de rendez-vous à la demande mais toujours via le module). Un point positif est que certains usagers peu familiers des outils numériques se sont « lancés » et ont dépassé leurs appréhensions. Ils ont regardé leurs mails (pendant le confinement toute la communication de la médiathèque s’est faite par ce biais avec l’envoi notamment d’une newsletter hebdomadaire), utilisé le module « drive » et ont compris qu’il serait désormais difficile de faire sans les outils numériques. A noter que 80% des demandes concernent un public adulte.

Il est difficile de savoir si la baisse de notre lectorat qui représente 10,9% en 2020 est due à une fracture numérique encore bien présente ou davantage à une raison d’appréhension sanitaire.

Selon vous, ce service favorise-t-il une politique de réponse à la demande au détriment d’une stratégie de l’offre ?

De mon point de vue, non. Il faut être pragmatique, l’important était de renouer le lien avec nos usagers et le « drive » répondait à cette nécessité. De surcroît, nous n’avons pas adapté notre politique d’acquisition en fonction de la situation, donc en matière de collection, une offre qui était qualitative l’est restée. Ce type de service peut être perçu comme une façon d’utiliser la médiathèque « en mode dégradé » mais les deux logiques (répondre à la demande et stratégie de l’offre) doivent se combiner, qu’on soit ouvert de façon classique ou en « mode drive ». Notre fonction de conseil reste la même, elle s’exerce juste différemment. Hors pandémie, l’ensemble des lecteurs ne nous demande pas toujours conseil et l’autonomie du « drive » n’apparaît pas pour tous comme une contrainte. Ce service de retraits de documents à la demande était une question sur laquelle nous nous étions déjà interrogé avant la crise sanitaire; cette dernière a donc été un accélérateur.

L’utilisation de termes commerciaux anglo-saxons tels que le drive et le click and collect est devenue commune pour décrire ce service. Comment ces expressions dérivées du monde marchand sont-elles accueillies par les équipes ? Pensez-vous que la popularité de ce vocabulaire issu du marketing nuise à l’image du service public ou au contraire qu’elle lui soit bénéfique ? Ces dénominations contribuent-elles à donner une image moderne à la bibliothèque ?

L’utilisation de termes commerciaux anglo-saxons n’a, a priori, pas posé de problèmes à l’équipe. En revanche, notre collectivité, nous a demandé lors du confinement de novembre de franciser le nom, le « click and collect » est alors devenu le « clic et collecte » mais honnêtement ce n’est vraiment pas une question qui a posé problème, l’essentiel était ailleurs.

Quel serait le bilan de cette expérience ? Envisagez-vous de poursuivre ce service hors confinement ? Comment l’articuler avec le reste des activités de la médiathèque ?

La mise en place d’un service de « clic et collecte » a plutôt été pour notre établissement une chose positive. D’ailleurs au moment où la médiathèque a pu réouvrir au public début décembre 2020, nous avons décidé de maintenir le service en parallèle de l’offre d’ouverture classique. C’est à ce moment que quelques appréhensions ou du moins interrogations ont émergé de l’équipe (notamment en termes de charge de travail) mais la période semblait finalement propice à l’expérimentation d’une telle offre (pas d’accueils de groupes, pas de programmation culturelle donc du temps libéré). Nous réfléchissions depuis un certain temps à l’intérêt d’intégrer cette offre à nos autres services, le contexte nous a obligé à nous jeter à l’eau ! Au final, il est probable que nous conserverons l’utilisation du « clic et collecte » au-delà de la crise sanitaire.

Même si ce service en période d’ouverture touche relativement peu de personnes, il confère comme d’autres services (portage à domicile…) à donner une image positive de la médiathèque comme lieu dynamique et ouvert.

Le « drive », « click and collect » ou « cliquez et emportez », quel que soit son nom est surtout un exemple parmi d’autres que les médiathèques ont une remarquable capacité d’adaptation et de la ressource et que le réseau de lecture publique a plutôt bien réagi face à une situation inédite pour l’ensemble de la profession. 

Publié le 01/02/2021 - CC BY-SA 4.0

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