Le Concours
de Claire Simon

Sortie en salle le mercredi 8 février 2017.

Cinéaste éclectique dont la production oscille et vogue avec aisance entre documentaire et fiction, Claire Simon, après Les Bois dont les rêves sont faits (2015) qui filmait le Bois de Vincennes comme un lieu de refuge et d’utopie, nous convie avec Le Concours à franchir le portail de la Fémis, la plus prestigieuse école de cinéma française. Le film tourné en cinéma direct concentre son propos sur le concours d’entrée, le parcours du combattant des candidats et les délibérations des jurys en charge d’une sélection draconienne.

Le concours © Andolfi, 2016

L’avis de la bibliothécaire

Toc, toc, ouvrez-moi la porte

 
Le film commence comme aux commencements du cinéma : en 1895 les ouvrières et ouvriers sortaient des usines Lumière à Lyon. En 2014, les grilles du 6 rue Francoeur à Paris s’ouvrent comme chaque année à pareille époque, et de jeunes gens, à chaque seconde plus nombreux, les franchissent avec le souhait ardent et l’énergie d’en devenir les élèves. Ce premier plan, tourné pendant les journées portes ouvertes de la Fémis (Fondation européenne des métiers de l’image et du son), inaugure la dramaturgie qui fonde le film, vouloir entrer, et esquisse le désir de la cinéaste de filmer la rencontre entre l’école et cette jeunesse, résolue et courageuse.

Le regard de Claire Simon n’est pas celui d’une ancienne élève de la Fémis. Après des études d’ethnologie, autodidacte, elle s’oriente vers le montage puis se forme à la pratique du cinéma direct aux Ateliers Varan.
Filmer le concours d’entrée, enregistrer son processus de sélection s’est imposé à elle au détour d’expériences de sa vie de cinéaste. Directrice une dizaine d’années du département réalisation, elle se devait, comme tout directeur, d’être une fois juré sachant que cette participation au concours d’entrée est la seule exception, car les jurés ne sont pas des représentants de la Fémis. Cette participation, la responsabilité, les découvertes et le désir de transmission qu’elle engendra furent un des moteurs dans le choix du sujet du film. S’y est agrégé le visionnage d’un travail de fin d’études d’une élève, Alice Douard, sur l’École normale supérieure, fiction qui se concentre sur la violence des rapports sociaux dans ce lieu d’excellence. En filmant la tension qui se cristallise au moment du concours d’entrée, Claire Simon décide de mettre l’accent sur le désir de cinéma partagé par les candidats, les jurys et elle-même.

Le Concours n’est pas un film sur la transmission du savoir, ni sur la Fémis en tant qu’établissement public relevant du Ministère de la Culture et du CNC, mais une œuvre sur le pourquoi et le comment : la façon d’y entrer ou de s’en voir refuser l’accès. Claire Simon ne filme pas le parcours individuel d’un candidat en particulier. Elle s’intéresse au mécanisme, au système à l’œuvre, à la sélection mise en valeur par l’affiche du film : « Tous égaux, mais seuls les meilleurs… » Pour donner corps à son projet elle s’appuie essentiellement sur les épreuves orales, les échanges entre candidats et jurys et les délibérations de ces derniers.

Dévoiler, dévoiler, certes, mais… à l’écrit

« Tous égaux, mais seuls les meilleurs… » tel est l’objectif de toute grande école française fondé sur le mérite et l’égalité des chances, principe républicain hérité de la Révolution. Qu’en est-il ? La réponse de Claire Simon est de nous proposer un tableau critique de la Fémis, illustration de la reproduction des élites selon Pierre Bourdieu : des cinéastes, scénaristes, monteurs, décorateurs, producteurs, distributeurs, une génération, une corporation (les « professionnels de la profession » en somme) choisit ceux qui lui succèdera, élit une promotion  d' »héritiers » (pérennisant par là même le modèle de la grande école). 

Deux images, en début et en fin de film, sont à la fois emblématiques de la sélection de la Fémis et synthétiques du propos à la manière d’un raccourci ou d’un split-screen. À l’amphithéâtre de plus de 1200 candidats, plein comme un œuf, se juxtapose la photo de la nouvelle promotion, une petite soixantaine de personnes, les happy few. Entre les deux : les épreuves du concours, écrits et oraux, tels des rites de passage, vont voir les « meilleurs » atteindre le Graal, entrer à l’école.  Le dossier d’enquête (devoir « à la maison ») et l’analyse de film (seul devoir sur table rédigé sur les bancs d’un amphi de l’Université de Nanterre, la Fémis n’ayant pas de salle assez grande) constituent les premiers jalons de la sélection, les premières haies sur le parcours d’obstacles à franchir. Les jurés (dans tous les cas des professionnels) analysent, discutent et comparent en essayant de déceler, de disqualifier les dossiers d’enquête « sous-traités », rédigés par une éventuelle autre main que celle qui plancha sur le commentaire du film de Kurosawa (Kiyoshi). Le dossier d’enquête pose de manière assez aiguë le problème de l’égalité des chances qui, pour cette épreuve (éliminatoire de surcroît), se fonde aussi sur la sagacité du jury. Un candidat issu des milieux du cinéma n’est-il pas  plus à même de comprendre ce qu’on lui demande, privilégié en un mot ?

et surtout à l’oral

Puis viennent les oraux, épreuves discriminantes en diable, qui sont le cœur de la sélection et la matière principale du film. Ils nous permettent d’entrer de plain-pied dans le système, le processus à l’œuvre.
Là, dans ces saynètes où se joue l’avenir des aspirants, où une tension, un investissement vital est parfois perceptible, là dans ce théâtre des épreuves nous sommes au plus près de ce qui décidera de l’entrée à l’école, au plus proche des visées du Concours. Les jurys ne valorisent pas les connaissances scolaires (comme il est généralement de rigueur) des candidats mais l’authenticité des énoncés et de leurs énonciateurs privilégiant paradoxalement les candidats qui maîtrisent le mieux l’image qu’ils veulent donner d’eux-mêmes. En quête de personnalités, de motivations, d’esprits non formatés, d’artistes en devenir, les examinateurs dont l’un dit « On va plier l’arithmétique à nos désirs » (donc ne tenir compte que de la  seule subjectivité) cèdent finalement aux sirènes du mimétisme social recherchant des jeunes leur ressemblant.

Les délibérations des jurés (grande originalité du film et outil de réflexion pour les futurs candidats, les élèves de l’école et sans doute les jurys à venir) participent d’une volonté de dévoilement, de démystification. Montrer les jurys délibérer, ce n’est pas viser la transparence mais bien plus lucidement saisir les moments de doutes, de discussion, d’adhésion et même d’aveuglement (l’attention accordée à l’apparence), toutes ces zones d’autant plus complexes que les critères de sélection ne sont pas décidés une fois pour toutes et laissent une part assez grande à la subjectivité. Les jurys, tout en jugeant les candidats, parlent d’eux-mêmes, de leurs représentations du cinéma, de ses métiers, de ce qu’ils aiment ou pas, de leur horizon d’attente.
Cependant, malgré ses failles, dont la diversité sociale[i], le concours d’entrée à la Fémis essaie d’être le plus juste possible. Cette justesse recherchée avec conscience par les jurys repose sur une écoute, une éthique de l’écoute s’appuyant souvent sur une incitation à la reformulation qui, parfois, permet de démêler le discours appris, attendu, de la langue individuelle au plus près du désir de cinéma du candidat.
 
Désir de cinéma, tout est dit et tout reste à écrire. Le concours d’entrée à la Fémis inaugure (pour les élus) ou peut fracasser (pour les exclus) l’histoire que chacun veut écrire dans la langue du cinéma. Même si le film dévoile, montre un système de sélection en marche où la référence républicaine trébuche quelque peu, il illustre aussi une mythologie du cinéma qui trouve un de ses points d’ancrage dans le lieu même qu’est la Fémis : entrer à la Fémis, en  franchir les grilles c’est avoir un pied dans l’histoire du cinéma, être dans une sorte de passe au seuil même des bâtiments des anciens studios Pathé-Natan et ainsi toucher une part de rêve, une promesse imaginaire.

Rappel 

Le Concours, de Claire Simon, production Andolfi (Arnaud Dommerc, Bélinda Leduc),  2016, 1 h 59 min
Prix du meilleur documentaire cinéma, Biennale de Venise 2016

Distribué par Sophie Dulac Distribution
 
 


[i] Pour remédier au manque de diversité au sein de l’école la Fémis  a, comme beaucoup de grandes écoles en France, créé deux programmes spécifiques, le premier en 2008 « Egalité des chances » et l’autre en 2015 « La Résidence ».

 

LE CONCOURS – film annonce from Sophie Dulac Distribution on Vimeo.

Publié le 04/02/2017 - CC BY-SA 4.0

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