Le silence des autres / El silencio de otros
De Almuneda Carracedo et Robert Bahar

Sortie en salles le mercredi 13 février 2019

Une vieille femme assise sur le bord d'une route - Photographie du film Le Silence des autres

© Verde Production Ltd 2018

1977. Deux ans après la mort de Franco, dans l’urgence de la transition démocratique, l’Espagne vote la loi d’amnistie générale qui libère les prisonniers politiques mais interdit également le jugement des crimes franquistes.
Les exactions commises sous la dictature et jusque dans les années 1980 (disparitions, exécutions sommaires, vols de bébés, torture) sont alors passées sous silence. 
Mais depuis quelques années, des citoyens espagnols, rescapés du franquisme, saisissent la justice à 10.000 kilomètres des crimes commis, en Argentine, pour rompre ce « pacte de l’oubli » et faire condamner les coupables.

L’Avis du bibliothécaire

« Une loi peut instaurer l’oubli »
C’est la phrase incroyable prononcée par un membre de la Chambre des députés, en 1977, lors du vote pour l’approbation de la Loi d’amnistie générale, deux après la mort de Franco.
Cette loi pardonne tous les délits, actes de rébellion des opposants au franquisme mais aussi les répressions politiques, les abus d’autorité  commis au nom de  Franco. Le silence va peser pendant plus de quarante ans après la mort du dictateur. Dans les écoles, collèges, lycées, les professeurs n’ont pas enseigné l’histoire de la répression sous Franco, dans les familles, il a fallu se taire. Résistants et franquistes ont ainsi vécu côte à côte, le torturé dans la même rue que son bourreau.

Les réalisateurs
Almuneda Carracedo est espagnole, ses parents se sont battus contre le franquisme. Dans un entretien, elle parle de sa douleur, elle « s’accumulait au fil des années » devant cette mémoire historique étouffée. Robert Béhar, son compagnon, est né aux Etats-Unis. Ils ont réalisés ensemble « Made in L.A. »

Un événement a déclenché l’idée et l’envie du film :
En 2010, en Espagne, l’affaire des bébés volés éclate : un trafic d’enfants qui débuta sous la dictature et perdurera jusqu’en 1987. Les bébés nés dans les familles d’opposants étaient enlevés dès la naissance, déclarés morts, et confiés à des familles franquistes pour éviter la transmission du «  gène du marxisme ».  C’est l’élément déclencheur qui entrainera leur engagement. Les réalisateurs veulent montrer que la souffrance des victimes de la dictature est intacte jusqu’à aujourd’hui : les familles des opposants assassinés, des disparus, ceux qui ont été torturés, tous réclament encore et encore justice. Par leur film, ils espèrent mobiliser davantage de plaignants et par là contribuer à la lutte pour la condamnation des criminels.

Puisque La loi d’amnistie de 1977 interdit toutes plaintes devant une juridiction espagnole. Les avocats et associations vont contourner le problème en faisant appel à une juge argentine Maria Servini et au principe de juridiction universelle autorisé pour les crimes contre l’humanité.  
 
Le travail d’entretiens et les tournages se sont déroulés sur six ans. 450 heures de rushes sont ainsi accumulées qu’il a fallu ensuite trier, monter pendant quatorze mois.
La chronologie des démarches effectuées par les plaignants, soutenus par des avocats, rythme le film. Les années s’inscrivent en intertitres, suivies du nombre de plaintes; en 2010, il n’y  en avait que deux, cinq ans et demi plus tard, 311.
Les chiffres aident à cerner l’ampleur des crimes du franquisme (on apprend qu’il y a environ 100 000 personnes enterrées dans des fosses communes) mais ils ne suffisent pas. Les survivants, les proches  par leur récit, vont incarner la douleur et la demande de justice. 

Deux témoignages de femmes ressortent particulièrement : l’une âgée de plus de 90 ans raconte l’arrestation de sa mère dont on retrouvera le corps dénudé le lendemain sur le bord de la route. Elle vient régulièrement déposer des fleurs à l’endroit du charnier, toujours sous la route. La seconde, âgée de 88 ans, pleure toujours son père assassiné sans cesser le combat pour l’identification de son corps et son exhumation de la fosse commune.
Parfois le film fait un détour vers l’Argentine, avocats, plaignants rencontrent en 2012 la juge Maria Servini pour le dépôt de 45 dossiers de tortures. Chaque témoignage reçu renforce la procédure. A  chaque étape, les réalisateurs nous font partager les émotions, les joies et aussi les déceptions de ces témoins souvent très âgés, fragiles, mais toujours en colère et refusant le pacte de l’oubli.
Le film s’achève sur les sculptures de Francisco Carrasco représentant quatre hommes debout. C’est le Mirador de la Memoria, dans la vallée du Jerte, un hommage aux disparus, à ceux enterrés dans les fosses communes.

Maria Martin, la vieille dame sur laquelle s’ouvre le film, est décédée avant de voir aboutir la plainte pour l’assassinat de sa mère. Mais, la prise de conscience de sa fille l’entraine à endosser le legs de la colère et la quête de justice. On repense alors au réalisateur Laurent Becue-Renard, parlant de son film « De guerre lasses » et des veuves de guerre en Bosnie : travaillant sur le legs psychique de la guerre, il emploie l’expression « généalogie de la colère », c’est aussi de cela qu’il s’agit dans « El Silencio de los otros ».

Rappel

Le Silence des autres / El Silencio de los otros
USA – Espagne 
Production Semilla Verde, Lucernam Films – 2018 – durée : 1 heure 35 min – Version originale espagnole sous-titrée français
Distinctions : Prix Goya du meilleur documentaire 2019, Berlinale Panorama : prix du public et prix de la paix
USA – Espagne 

Publié le 14/02/2019 - CC BY-SA 4.0

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