Beau joueur
de Delphine Gleize

Sortie en salles le mercredi 26 juin 2019

 

L’Aviron Bayonnais, fondé en 1904, est un club de rugby au passé glorieux. Trois fois champion de France, trois fois titulaire du bouclier de Brennus (1913, 1934, 1943) il remporta par deux fois le challenge Yves du Manoir (1936, 1980). De 2005 à 2015 l’Aviron se maintient en Top16 puis en Top14. Relégué en ProD2  (deuxième division professionnelle) il arrache sa montée dans l’élite du rugby français avec des matchs victorieux en barrage et gagne la finale en mai 2016. La saison août 2016/ juin 2017 sera celle du maintien. Delphine Gleize, qui fréquente les stades de rugby depuis le berceau, décide de suivre l’équipe de l’Aviron dès l’automne quand commencent à s’enchaîner les défaites. Sept mois durant elle filme seule les joueurs, les entraîneurs, les soigneurs dans la lutte qu’ils mènent pour rester parmi les meilleurs de ce sport qui les passionne et les fait vivre.

Beau joueur, cop. Les Prod Balthazar

Beau joueur ©Les Productions Balthazar 

L’avis de la bibliothécaire

Une déclaration d’amour et les preuves de cet amour

 
Le film dure cent trois minutes. Un match de rugby se dispute en deux fois quarante minutes avec dix minutes de mi-temps. Delphine Gleize semble suivre le tempo d’une partie de ce sport de combat où les joueurs donnent tout d’eux-mêmes. Dès le début elle marque sa subjectivité en prenant la parole en voix off. Ses affirmations sont franches, nettes: 
« J’aime le rugby et les hommes qui se relèvent et je ne crois jamais en la parole des fossoyeurs. Ce match me donne envie de rester auprès d’eux. »
Amoureuse du rugby, amoureuse indéfectible de ce sport et de ses joueurs, Delphine Gleize nous livre tout au long du film les preuves de cet amour. Elle accompagne une équipe qui perd et perd très lourdement: les scores sont fleuves, abyssaux: l’Aviron prend 40, 50, 60 jusqu’à 82 points contre Toulon. La réalisatrice est là, caméra à l’épaule, dans les moments où les joueurs touchent le fond. Elle les soutient, elle ne les lâche pas pendant cette période désastreuse. Animée du désir de les voir « commettre un casse », elle croit en eux et dans leurs forces jusqu’au bout. Son amour est fait d’énergie mais aussi de respect. Le film ne montre pas tout. Les images des phases de jeu sont absentes sauf, peut-être, à deux reprises, où elles s’inscrivent très furtivement dans un reflet. Dans Beau joueur pas de sport-spectacle, pas de spectacle du sport. Les défaites comme les victoires sont racontées du banc de touche par les regards des joueurs, par leurs attitudes, par leurs gestes de désespoir, par les mots de leur coach, de leur entraineur général Vincent Etcheto. L’humour, par touches, est aussi une des composantes du film. La passion s’y exprime également  par une mise en musique et un montage fluide de moments forts d’avant-match comme d’après-match dans les vestiaires, par des temps de concentration et par la dimension parfois chorégraphique de mouvements répétés à l’entraînement. Dans cet univers où les corps aux muscles puissants sont mis à rude épreuve, un leitmotiv se fait entendre: le bruit des crampons. « Le rugby, je l’ai aimé d’abord pour le son, hors-champ, celui des crampons sur des carrelages de vestiaires vétustes, pour son odeur, celle de la boue mêlée d’herbe humide et de camphre qui perdurait toute la semaine » (D. Gleize).
Tout au long de ces sept mois de tournage (188 heures au total), seule femme dans les vestiaires, la réalisatrice est à l’intérieur tout en gardant sa position de cinéaste et d’observatrice extérieure au groupe. Elle saisit les liens entre les joueurs, les documente, les illustre et les magnifie tout en préservant leur intimité :
« Selon moi, les gars avaient fait un grand truc ensemble. Pour la dernière fois, je suivais ce très jeune joueur qui n’avait porté que le maillot de l’Aviron Bayonnais dans sa vie. Il venait de signer dans un grand club. Lui, allait rester en Top 14. Baptiste jouait pour la dernière fois avec ses co-équipiers. Avec eux il avait écrit une remontée et il avait écrit une descente; l’euphorie et le chagrin. En se séparant dans quatre-vingts minutes tous seraient liés par ce lien. Ce serait écrit dans les livres et les journaux mais ça resterait leur secret. » 

Le discours d’un entraîneur

 
Baptiste Chouzenoux, n°7, troisième ligne aile, est un bon et beau joueur. Ses co-équipiers aussi. La caméra de Delphine Gleize saisit la beauté des visages, des expressions; la douleur dans leurs corps abimés et toujours en danger soignés par des médecins et des kinés ; l’effort lors de la musculation, pendant l’entraînement à la mêlée et aux percussions ; les footings ; les décrassages. Elle filme aussi et surtout l’endurance dont tous ces joueurs font preuve, le courage qu’ils manifestent face aux défaites et aux scores humiliants. Dans la descente aux enfers qu’est leur saison 2016/2017 ils ont du panache. Ce ne sont pas des mauvais joueurs. Ils ne trichent pas. Ils sont « beau joueur », fair-play. Dans cette dramaturgie un homme occupe une place centrale : l’entraîneur général.
Vincent Etcheto est le petit-fils de Jean Dauger (1919-1999), trois-quarts centre inspirant pour ses successeurs dont André Boniface. En 2001 le stade de Bayonne est rebaptisé à son nom. Vincent Etcheto est aussi le fils de Roger Etcheto, demi d’ouverture (n°10) puis entraîneur de l’Aviron Bayonnais. Vincent suit la même route que son père: demi-d’ouverture puis entraîneur, d’abord à Bordeaux-Bègles puis à l’Aviron. Dès le début du film le ton est donné. Etcheto s’adresse à un arbitre assistant, un juge de touche en ces termes: « Et tu me parles pas comme ça, et tu me diras, branleur, où tu as joué ». De toute évidence Vincent Etcheto est une grande gueule qui ne pratique pas l’understatement. Son comportement excessif lui vaudra d’ailleurs une sanction de la commission de discipline de la ligue de rugby. Il sera pendant dix semaines au « frigo », dans les tribunes, privé de bord de terrain et loin de ses joueurs. Le film est rythmé par son discours d’entraîneur qui est certes chargé en testostérone et en métaphores crues mais qui repose aussi et surtout sur une réelle connaissance de la peur comme de l’ivresse d’un match et de la volonté de se dépasser pendant quatre-vingts minutes. Etcheto donne le la, il exprime la honte comme l’orgueil, la volonté de surmonter l’échec, l’écoeurement des défaites successives, des coups durs encaissés et l’obligation de faire face, d’en tirer les conclusions, de relever la tête, d’y aller, de « montrer un visage de combattant, de ne plus être victimes mais acteurs « , de saisir la plus petite chance de se maintenir. Il se doit de porter et d’incarner l’optimisme jusqu’au bout. Il évoque la beauté de certains stades, la fierté du maillot, de la ville, de ses supporters incomparables. En peu de mots il décrit la faim, le désir de jouer : 
« Aller sur le terrain, s’engueuler, plaquer, vivre. C’est ça la vie. C’est pas attendre que ça passe, ça passe trop vite ». Ses mots disent sa passion du rugby, son engagement comme entraîneur, sa volonté de voir ses joueurs ne pas abdiquer, ne pas renoncer, rester dignes.
« C’est dur mais il faut être pro jusqu’au bout. On s’est promis de l’être. On a encore un petit avenir en commun et j’ai pas envie qu’on le pourrisse. On va trouver ensemble les solutions pour aller à Montpellier. Je vous demande juste un truc, c’est de ne pas abandonner et comment on va faire pour ne pas abandonner, c’est ce que je vous demande. C’est un cri du coeur. »
A cette expression spontanée du sentiment profond qui anime Vincent Etcheto répondra un chant polyphonique béarnais de voix d’hommes dans la nuit du stade Jean Dauger vide. Magnifique.
 
Mais c’est au capitaine de l’équipe, Jean Monribot, que revient le plus beau des encouragements du vestiaire dans l’immédiat avant-match où s’expriment la dynamique et la force du partage. Se lit aussi, comme en filigrane « le souvenir de l’ascension comme une étreinte dont on ne s’est pas encore remis ».
« Partageons ce moment ensemble. On joue pour le copain d’à-côté. On joue pas pour soi, jamais de la vie. On joue pour le copain d’à-côté. Dès l’école de rugby on nous a appris ça. Apprécions ces moments-là. Le jeu, la discipline, l’agressivité, je les veux à la limite. Discipline et à la limite. On explose tout pendant quatre-vingts minutes. D’accord les gars? On est un groupe. Titulaires, remplaçants, on est un groupe. Chacun est important dans ce groupe. Chacun. OK. Allez ! »

Le rugby sport de combat jusqu’où ?

 
Oui, le rugby moderne est un sport de combat. Professionnel depuis 1995, il est fortement inspiré par la façon de jouer de l’hémisphère Sud, le style des All Blacks en particulier. Les rugbymen prennent des coups et en donnent selon des règles complexes qui sont censées poser des limites à la violence. On dit des joueurs qu’ils sont des guerriers, de valeureux combattants. Les phases de jeu sont parfois d’une très grande rudesse, d’une vraie brutalité. Delphine Gleize n’esquive pas, n’élude pas cette question, ne botte pas en touche. Les arcades sourcilières explosent, les corps souffrent du dos, de céphalées, de cervicalgies, des protocoles commotions sont déclarés. Baptiste subit les conséquences d’un coup terrible dans les côtes ;  Jean-Jo Marmouyet, amateur de littérature et de philosophie, aura un trou noir. Beaucoup de douleurs, de dents serrées, cassées, de corps souffrants. Un médecin du staff dénombrera jusqu’à 15 joueurs indisponibles soit un joueur sur trois. Delphine Gleize aime le rugby. Moi qui, dans mes jeunes années, vis Pierre Villepreux, Jacques Fouroux, Jean-Louis Bérot, Jo Maso, Jean-Pierre Rives, les Spanghero,  Paparemborde, Boulpiquante et tant d’autres jouer, j’ai de plus en plus peur de voir les hommes tomber et ne pas se relever après la violence des impacts et les risques de K.O. Entre 2018 et 2019, en huit mois, quatre très jeunes joueurs sont morts des suites de coups reçus sur le terrain. Sport de combat, bien sûr mais aussi jeu de massacre comme le démontre un article de Renaud Bourel paru dans l’Equipe.fr. Il est clair, face à cette casse des joueurs pendant et après leur carrière, qu’il faut réformer ce sport et revoir à la baisse la violence des impacts. 
Je terminerai par une note optimiste. La saison 2018/2019 de l’Aviron Bayonnais avec pour responsable sportif Yannick Bru, un ancien du Stade Toulousain, et pour entraîneur des arrières Vincent Etcheto, fut grande. Le club, champion de ProD2, retrouve sa place en Top14. Ainsi va le sport, ainsi va la vie…  
 

Rappel

Beau joueur de Delphine Gleize
2019- 1h43 min-Production : Les Productions Balthazar, Rectangle Production
Distribution : Balthazar / Wild bunch  
 

Publié le 25/06/2019 - CC BY-SA 4.0

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