L’Énergie positive des dieux
de Laetitia Møller

En salles le mercredi 14 septembre 2022.

Leur musique est une déferlante de rock électrique. Leurs textes assènent une poésie sauvage. Accompagnés de quatre musiciens, Stanislas, Yohann, Aurélien et Kevin sont les chanteurs du groupe Astéréotypie. Issus d’un institut médico-éducatif accueillant de jeunes autistes, ils dévoilent sur scène leur univers détonnant, encouragés par Christophe, un éducateur plus passionné d’art brut que de techniques éducatives. Leur aventure collective est un cri de liberté.

L’Énergie positive des dieux © La Vingt-Cinquième Heure

L’avis de la bibliothécaire

Amateurs de punk et de post-hardcore, de slam et de poésie, mais encore d’absurde et de surréalisme, plongez dans les coulisses d’un univers créatif intense aux mots tranchés comme des lames !

Du projet éducatif au groupe de rock

L’aventure du collectif Astéréotypie commence en 2010 au sein d’un institut médico-éducatif de Bourg-La-Reine dans les Hauts-de-Seine (92). Christophe L’Huillier, éducateur spécialisé, anime ici des ateliers d’écriture et de poésie avec un groupe de jeunes autistes âgés de 14 à 20 ans. Rapidement, au lieu de cadrer les productions du groupe, il prend conscience de leur potentiel poétique à l’état brut. La musique s’est peu à peu greffée par-dessus les textes. D’abord des mélodies « tranquilles », de type folk, puis des sons plus « énervés », comme le raconte le musicien face au public de l’Étrange Festival. La directrice du centre, fan de Moriarty, fait le pari de contacter les musiciens de ce groupe de rock, demande à laquelle ils répondent favorablement. Ainsi, le guitariste et compositeur Arthur Gillette et le batteur Éric Dubessay viennent « bœuffer » avec les poètes slameurs et enfin, tous les ingrédients d’Astéréotypie sont réunis. Le groupe en devenir monte en puissance quand il est invité à jouer pour l’ouverture du festival Sonic protest au 104 à Paris en 2015. Ils se produisent depuis dans un set noise-post-rock où les nappes électroniques jouées au synthétiseur et les riffs endiablés des guitares portent les lectures et récitations des interprètes.

Claire Ottaway et Benoit Guivarch à l’Étrange festival © Bpi

Le film capte le travail mené avec les adolescents des années 2018 à 2021. Il se passe juste après l’arrivée de Claire Ottaway dans l’équipe, ce pourquoi on la voit moins dans le film contrairement à des personnages qui ne font plus partie du collectif actuel. Depuis la fin du tournage, l’eau a coulé sous les ponts. Christophe L’huillier n’est plus éducateur et les jeunes ont quitté l’institut. Les textes sont écrits et interprétés aujourd’hui par Stanislas Carmont, Claire Ottaway, Yohann Goetzman et Aurélien Lobjoit, pour certains présents depuis bon nombre d’années dans les ateliers. La musique est composée et interprétée par Christophe L’huillier (guitare), Benoit Guivarch (synthétiseurs), Arthur Gillette (basse), Éric Dubessay (batterie). Ils se réunissent autour d’une passion, la musique, et d’un projet professionnel commun, le collectif Astéréotypie. Après un second album sorti en 2018, L’Énergie positive des Dieux, dont le film tire son titre, un troisième album vient de paraître en 2022 sur le label Air Rytmo (anagramme de Moriarty) intitulé Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme, globalement salué par la critique musicale. Une tournée française s’amorce en 2022 avec de belles dates : la Gaîté Lyrique, la Fête de l’Humanité, l’Étrange Festival et bientôt, la Cigale…

La réalisatrice Ovidie et le collectif Astéréotypie, à l’Étrange festival © Bpi

Art brut, vent de liberté punk entre surréalisme et régression

Le rock slamé du groupe Astéréotypie, comme le préfixe privatif l’indique, sort des sentiers battus et de la conception d’une réalité normalisée. Et donc, des attendus sur l’art amateur, l’art-thérapie, l’art populaire, distinctions définitivement non adaptées au projet… La prose de ces slameurs, sans rimes, sans règles, parfois sans accroche de sens ou linéarité, propose un chaos inédit véritablement poétique. Elle est faite de collages surréalistes, de rapprochements subversifs, de listes ou de jeux d’écriture. La poésie des chanteurs se rapproche davantage de l’art brut, genre difficilement définissable, caractérisé en ces termes par Christian Berst, galeriste :

« En l’état, l’art brut rassemblerait donc les œuvres produites hors des sentiers battus par des personnalités vivant dans l’altérité mentale ou sociale et cherchant – souvent dans le secret, la plupart du temps pour leur propre usage – à matérialiser leur mythologie individuelle. » *

Il y a quelque chose de jouissif à écouter certains textes, parfois volontiers régressifs, abécédaires du monde qui nous entoure, ayant pour références la vie courante (les dessins animés, la téléréalité, l’Iphone…). Cette transformation du quotidien est puissante car elle évoque l’inquiétante étrangeté du réel et potentiellement, l’appréhension du monde extérieur dans laquelle vivent peut-être ces adolescents. La littéralité des mots et expressions et les sujets issus de la banalité du monde rappellent l’extrême anormalité du réel et le poids imposé par les carcans sociaux. Le collage des textes, comme dans la chanson « Mon chat a 44 ans » produit des fractures de sens et peut aussi provoquer un malaise, notamment dans le fonctionnement parfois mécanique des mots et du langage. C’est au sein de ces grains de sable bloqués dans les rouages du monde ordinaire que s’accomplit un petit miracle : l’absurdité de notre environnement une fois révélée peut provoquer tantôt le rire, tantôt la sidération. En tout cas, elle ne laisse pas indifférent.

« Associer deux mots qui ne vont pas ensemble, est-ce une erreur de langage ou une invention sémantique créatrice de poésie ? » Laetitia Møller, dans le dossier de presse du film.

Pochette du dernier album d’Astéréotypie © DR

Outre l’écriture, l’interprétation sur scène constitue le nerf du groupe. Car la scène provoque l’explosion de l’inattendu. La déclamation des mots, véritable performance, produit une expérience proche de la magie, sur le fil, à flanc de falaise. Le travail sur la diction, la présence, la représentation, le tout assorti aux conditions du live (musique forte, lumières, regards et réactions du public) pourrait être l’une des épreuves les plus difficiles pour ces chanteurs et pourtant, ils ont désormais trouvé leurs repères et leur liberté. Quitte à détonner. À étonner. À changer le ton. Créer la rupture. Peu à peu, la personnalité des chanteurs se dévoile et leur tempérament se révèle. Comme s’ils pouvaient montrer leur personnalité à un public, pour une fois à leur écoute. Le projet ouvre une zone d’expression libre où se mélangent les plaisirs d’enfance, la rébellion, les désirs et les peurs. Cette sensibilité exacerbée est portée à l’écran par Laetitia Møller à l’occasion de nombreuses scènes de répétitions et de live.

Nous sommes tous des inadaptés sociaux

La découverte du projet créatif permet enfin une dernière émancipation, celle de « libérer » le spectateur, de ses attentes et de ses préconçus. Et c’est bien là le propre du punk, genre de musique effaçant les frontières entre le beau et le laid, la musique bien interprétée et l’amateurisme, ouvrant les possibilités de chacun et libérant la société de ses carcans sociaux. Ainsi la phrase de la chanson Colère de Stanislas : « Ce qui me met en colère, c’est quand les gens se moquent de moi ». Qui ne l’a jamais ressenti ou vécu ? C’est bien normal d’être en colère dans une société où nous sommes constamment jugés sur notre apparence, notre façon de nous présenter aux autres. Ces moments d’inadaptation se révèlent aussi lors de scènes avec une touche singulière d’humour, par exemple la passion de Stanislas pour les hommes politiques ou l’incompréhension de Kévin face à l’idée de répondre pour une deuxième fois à la question d’un journaliste. Certains comiques de situations sont provoqués par le naturel des jeunes à outrepasser limites et attendus. Libérons-nous alors et allons comme dans la chanson Ponio « chercher le diable un peu plus haut ».

L’Énergie positive des dieux © La Vingt-Cinquième Heure

À écouter encore…

Les références et influences pleuvent. Pour les figures rock tutélaires et le lâcher prise des chanteurs, Joy Division. Pour le post-rock, Mogwai ou encore Kinski. Pour les références françaises plus récentes et proches de nous : on peut penser aussi à Zone libre, Programme ou Diabologum…

En voici quelques exemples disponibles sur Tympan, accessible à la Bpi :

l’album #3 de Diabologum

l’album L’angle mort de Zone libre

l’album Unknown pleasures de Joy division

l’album Young team de Mogwai

Le bandcamp du groupe : https://astereotypie.bandcamp.com/

Marina Mis

Bande annonce

 Rappel

L’Énergie positive des dieux – Réalisation : Laetitia Møller – 2021 – 1 h 10 min – Production : Les Films du Bilboquet – Distribution : La Vingt-Cinquième Heure

* Marie-Charlotte Burat, « Qu’est-ce que l’art brut ? On a posé la question à 3 spécialistes », BeauxArts, 2015 [en ligne] https://www.beauxarts.com/expos/quest-ce-que-lart-brut-on-a-pose-la-question-a-3-specialistes (13 septembre 2022)

Publié le 15/09/2022 - CC BY-SA 4.0

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