Le Chant des vivants
de Cécile Allegra

Sortie en salles le mercredi 18 janvier 2023.

Premiers plans, quai d’une gare. Des jeunes montent dans un train. Un départ donc. Allégorie du voyage symbolique que nous allons vivre sur les pas des traversées terribles vécues par ces hommes et ces femmes. Arrivée de nuit dans un village de montagne. Le jour se lève. Et puis, très vite, la parole vient fracturer l’image. Un dialogue surgit. Des premiers fragments de récits se posent. Se dessine alors l’impossibilité de raconter. 

Photo du documentaire Le Chant des vivants.
Les résidents au bord de la rivière dans Le Chant des vivants ©TS Productions

L’avis de la bibliothécaire

À Conques, la montagne est foisonnante. La végétation dense semble là pour amortir, cacher et protéger… une coquille donc. Depuis plusieurs années des séjours sont proposés à des jeunes demandeurs d’asile de plus de 18 ans venus notamment du Soudan, de Guinée et d’Erythrée. En 2018, Bailo, Egbal, Sophia, Victoria, Anas, David, Hervé, Zomuy, Michael passent quelques jours dans cet écrin, l’un des plus beaux villages de France. Comme s’il fallait au moins ça pour accueillir leurs souffrances et tenter de réparer ces corps et ces âmes dévastées, un lieu imprégné et paisible.

Mot à mot

Affirmer que la parole libère c’est peut-être oublier que parler c’est aussi faire revivre la douleur, lui donner forme, l’incarner. Cécile Allegra note sur son cahier le fruit de ses échanges avec les jeunes tandis que la caméra change d’axe et de focale, comme s’il fallait multiplier les points de vue pour capter la justesse du moment. Elle recueille la parole en face à face : « À quoi associes-tu le mot départ ? » demande-t-elle. « À tristesse, obligation, douleur, histoire… quelque chose que tu ne vas pas oublier. » Mettre en mots et dire à voix haute la rupture, le départ, le rêve, le désespoir : une nouvelle étape pour donner du sens et donner à entendre ce qui est tu, ce qui semble si difficile à faire jaillir. 

Photo du documentaire Le Chant des vivants.
Egbal et Mathias dans Le Chant des vivants ©TS Productions.

Cécile Allegra met en mot et en images, Mathias Duplessy en musique. Musicien et compositeur, il saisit, interprète et accompagne les résidents pour choisir le rythme, la façon de chanter et de dire les choses… un travail à plusieurs voix donc. Il faut pouvoir se comprendre, avoir le temps d’écouter pour trouver le langage commun. Le pouvoir du chant, ce souffle venu de l’intérieur, aide à faire émerger l’histoire et intégrer le moment présent. L’action sur le corps et l’esprit semble sans appel puisqu’il faut lâcher prise et ce n’est pas toujours simple. Le silence, le heurt et cette difficulté à dire participent au récit et s’inscrivent presque comme préalable nécessaire aux chansons qui ponctuent le film. Voir ce mécanisme permet d’accepter la légèreté de la mélodie, un contrepoint qui devient acceptable si l’on s’est frotté aux récits terribles de ces survivants. Cécile Allegra cherche dans ce film à « inventer une forme pour réduire la distance ». La musique dialogue avec l’image, alternant des séquences de chant en son synchrone et en son off. Les chansons s’intègrent au processus en train de se créer puis au film lui-même. 

Vivre ou survivre

La réalisatrice est aussi présidente et créatrice de l’association Limbo réparer les survivants qui est à l’origine de ce projet. La rencontre avec les frères de l’Abbaye de Conques et la volonté d’agir auprès de ces jeunes torturés ont permis la création de ces séjours. Le Chant des vivants prolonge Voyage en Barbarie – Prix Albert Londres 2015 – où Cécile Allegra filmait des rescapés des camps de tortures du Sinaï. Depuis 2016, elle mène, avec d’autres, diverses actions envers ces publics. 

Et puis un jour la parenthèse se referme. Il faut quitter ce lieu suspendu hors du monde et du temps. Il semble alors nécessaire de penser à ce qui les attend après, penser aussi à toutes celles et ceux qui n’ont pas survécu, qui ne peuvent plus vivre, qui errent, souffrent et qui n’auront pas la possibilité de raconter, encore moins de chanter. La résilience n’est pas à la portée de tout le monde. À nous, sans doute, de ne pas oublier les destinées jalonnées d’obstacles, au-delà du lieu, au-delà du chant, au-delà du film.

Bande annonce

Rappel

Le Chant des vivants – Réalisation : Cécile Allegra – 2022 – 1 h 22 min – Production : TS Productions – Distribution : La Vingt-Cinquième Heure

Un film en partenariat avec l’association Limbo, Amnesty International, Médecins du Monde, La Cimade, Utopia 56, le Centre Primo Levi, l’ACAT, We are NOT Weapons of War, RCF, Nova, Politis, Respect Magazine.

Publié le 17/01/2023 - CC BY-SA 4.0

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