L’Oba d’Amsterdam, un modèle en mutation
par Soizic Cadio, élève-conservatrice à l'Enssib

Dans le cadre de sa formation à l’Enssib, Soizic Cadio a réalisé un stage d’un mois dans le réseau des bibliothèques d’Amsterdam, au Pays-Bas. Elle nous le fait découvrir.

Les bibliothèques néerlandaises n’ont rien à envier à leurs consœurs scandinaves : design moderniste, espaces accueillants, services innovants, l’Oba et ses 28 bibliothèques amstellodamoises constituent un modèle sous bien des aspects. Un modèle en pleine transformation.

L’Oba Oosterdok, une tête de réseau aux avant-postes de la mutation

L’Oba (Openbare Bibliotheek Amsterdam), le réseau des bibliothèques de la capitale hollandaise, fêtait en 2019 ses 100 ans. Il comprend une bibliothèque centrale, l’Oba Oosterdok, située près de la gare centrale, et 27 bibliothèques de quartiers desservant toute la ville.

La tête de réseau, l’Oba Oosterdok, conçue par l’architecte neerlandais Jo Coenen, a ouvert ses portes en 2007. Avec ses 28 000 m2, elle était à l’époque la plus grande bibliothèque d’Europe, accueillant chaque jour plusieurs milliers de visiteurs.
Plusieurs choses frappent dès l’entrée de la bibliothèque : l’amplitude des horaires d’ouverture (8h-22h tous les jours, 10h-20h samedi et dimanche), le café, surplombant le hall d’accueil, où l’on peut lire toute la presse (néerlandaise et internationale, puisque tout le monde ici semble au minimum bilingue) tout en dégustant un cappuccino…

En contrebas, on aperçoit l’immense étage dédié à la jeunesse, où les enfants courent entre des rayonnages circulaires, font la sieste dans des tipis ou se font lire des histoires sur toutes sortes d’assises ludiques et confortables.

Vue de l'espace Jeunesse de l’Oba Oosterdok ©Bpi
Vue de l’espace Jeunesse de l’Oba Oosterdok ©Bpi

L’entrée dans la bibliothèque ne nous met pas directement en contact avec les collections, représentées simplement par un petit présentoir au milieu du hall. C’est dans les étages supérieurs que l’on peut découvrir, consulter ou emprunter des documents, ou s’installer à l’une des 1 000 places de travail que compte la bibliothèque. Là encore, tous les types d’assises sont à disposition des usagers, de la plus classique table de travail au fauteuil confortable avec vue sur le port. Enfin, la bibliothèque comporte un restaurant, un théâtre de 250 places et un forum.

L’Oba Oosterdok est fréquentée par un public varié : étudiants, parents avec enfants, travailleurs freelance, ou encore touristes, qui viennent admirer ce bâtiment emblématique avant de prendre leur train. Quelques habitués aussi, discrets, qui ont leur place attitrée au café ou ailleurs. Tout ce monde semble cohabiter harmonieusement, à l’image de l’ensemble de la ville.

Des collections encyclopédiques et des fonds spécialisés

L’adhésion est gratuite pour les enfants jusqu’à 19 ans et un éventail de formules existe pour les adultes (abonnement complet pour 59,50 euros, abonnement étudiants, seniors, détenteurs d’un city pass, etc).

Près d’1,7 millions de documents composent les collections des 28 branches de l’Oba, complétées par une bibliothèque numérique. Il est possible de réserver et de faire venir des livres d’une autre branche de l’Oba, mais ce service est facturé 1 euro par document, sauf pour les détenteurs de l’abonnement Oba Always and everywhere.

L’Oba propose également plusieurs fonds spécialisés, par exemple une collection patrimoniale de 35 000 livres pour enfants de 1650 à nos jours, un fonds consacré à Spinoza, philosophe du 17e siècle banni d’Amsterdam, ou encore les archives LGBTQI des Pays-Bas, collectées par IHLIA (International Homo/Lesbian Information center and Archive). L’association dispose de 350 mètres de rayonnages en magasins et d’un espace dédié au 5e étage de l’Oba Oosterdok pour assurer une permanence, proposer des collections courantes en consultation sur place et organiser des expositions.

Vers la « Community Library »

Dans l’après-Covid et dans un contexte de réductions budgétaires, l’Oba se voit contrainte, comme beaucoup de bibliothèques, de se réinventer. Aussi, lorsque l’on se promène dans les étages de l’Oba Oosterdok, peut-on être surpris de ne croiser aucun bibliothécaire.

L’Oba est en effet en pleine mutation. Son ambition est d’en finir avec le modèle descendant de la bibliothèque prescriptrice pour se faire le reflet de la cité et co-construire avec ses habitants ses collections et sa programmation. Les bibliothèques de quartier sont ainsi appelées à devenir des « community libraries ».

Parmi les 300 employé·es de l’Oba, les nouvelles recrues ont de plus en plus un profil spécialisé, dans la production d’événements, le marketing, la gestion de projets culturels, ou encore la médiation auprès de publics éloignés. Pour ces derniers, l’enjeu est moins la connaissance fine des collections que la connaissance du quartier, le but étant de donner envie aux habitants, non seulement de venir à la bibliothèque mais d’en devenir acteurs. De fait, la bibliothèque de l’Oba Bijlmerplein par exemple semble être un reflet fidèle du quartier, situé au sud-ouest de la ville et connu pour sa diversité sociale et ethnique.

Vue de l'espace Adultes de l'Oba Oosterdok ©Bpi
Vue de l’espace Adultes de l’Oba Oosterdok ©Bpi

Amsterdam est en effet une ville extrêmement multiculturelle, avec ses 180 nationalités représentées et plus de 360 langues parlées. Une diversité qui fait la renommée et la fierté de la ville qui s’est vue toutefois confrontée, ces dernières décennies, a une montée des inégalités sociales et de l’intolérance. La municipalité souhaite faire de l’Oba un outil pour combattre ces inégalités, et c’est dans cet esprit qu’a été créée la Maison
de toutes les langues (Huis van alle Talen), localisée pour l’instant principalement à l’Oba Oosterdok et destinée à s’étendre dans toutes les branches.
Cette « Maison » comprend aujourd’hui 35 partenaires, associatifs et institutionnels, chargés de constituer des collections et d’élaborer un programme d’animations pour répondre aux attentes de leurs publics.

Vue de l'espace Adultes de l’Oba Oosterdok ©Bpi
Vue de l’espace Adultes de l’Oba Oosterdok ©Bpi

Cette transformation vers plus d’ouverture sur la cité s’accompagne d’une volonté d’étendre les horaires d’ouverture dans les branches. Dans un contexte de restriction budgétaire, cela signifie de recourir plus largement aux bénévoles pour des activités d’accueil et de médiation. Si l’on peut se réjouir de la diversification des profils pour une bibliothèque à l’image de sa ville, il sera intéressant d’observer l’évolution du modèle dans les années à venir, et de voir quelle place prendront concrètement partenaires, bénévoles et habitants dans la mue de l‘Oba.

Publié le 22/05/2023 - CC BY-SA 4.0

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