Appartient au dossier : Les bibliothèques qui venaient du froid : voyage d’étude en Norvège

Les bibliothèques d’Oslo sont-elles vraiment écologiques ? Un contrepoint
par Juliette Lenoir

Les bibliothèques visitées lors du voyage d’étude organisé par la Bibliothèque publique d’information (Bpi) en 2023, ont soulevé l’enthousiasme. Leur engagement écologique, qui s’incarne tant dans leurs aménagements que dans leurs actions auprès de leurs publics, a été présenté et analysé dans plusieurs articles de ce dossier. Il est toutefois possible de questionner certains de leur choix en termes d’écologie.

En complément des articles d’Aurélia Maggiore sur « l’approche durable des bibliothèques norvégiennes » et des autres collègues qui participaient à ce passionnant voyage d’étude, je reviens sur les aspects écologiques des bibliothèques d’Oslo.

Durabilité et écologie : des engagements manifestes

Le parti pris écologique est manifeste à la bibliothèque de Grünerlokka dont le jardin a été transformé en potager. Le bibliothécaire qui nous a accueilli a expliqué qu’il organisait des ateliers de jardinage avec les usagers, et qu’il pouvait même conseiller les habitants du quartier dans leurs propres jardins. Il nous a aussi servi des boissons aux herbes produites localement.

À l’intérieur, une machine à eau et à café est flanquée de chariots à lave-vaisselle, garnies de mugs et tasses dépareillées à la disposition des usager·es, ce qui évite d’utiliser des gobelets jetables.

De la même manière, les bibliothèques de Tøyen (pour adultes et pour adolescents) sont largement meublées avec des mobiliers d’occasion et autres équipements de récupération, ce qui leur donne un charme très chaleureux.

L’hospitalité, l’accueil et l’attention au confort des publics sont évidents et s’articulent de façon visible avec la prise en compte des enjeux écologiques. Souvent visibles dès l’entrée, ou au cœur des espaces, cafétéria et cuisines, éléments clés de la qualité d’accueil, mettent en œuvre les principes de la durabilité : réemploi, réutilisation, recyclage.

Un parti pris techniciste qui pose question

On peut cependant avoir un avis plus nuancé si l’on s’arrête un moment sur la plus récente et la principale bibliothèque d’Oslo, la centrale Deichman Bjørvika. Bâtiment de béton et de verre dont le budget de construction est d’environ 230 M€, elle a été élue en 2021 par l’IFLA meilleure bibliothèque du monde. Ce prix saluait notamment précisément sa « conscience environnementale ».

Nous avons visité le site en juin par plus de 30° de température extérieure (et plus de 20° de température de l’eau de baignade dans le fjord) et avons naturellement posé la question de la consommation énergétique pour le rafraîchissement du bâtiment. Pour ombrer la façade vitrée, des montants en béton rythment les parois extérieures et le système de climatisation puise son eau glacée au fond du fjord. On peut supposer qu’il existe d’autres dispositifs économes pour réchauffer les volumes en hiver.

Mais on peut s’interroger sur le choix d’un équipement très technologique. Le vaste volume intérieur est ainsi parcouru par de grands escalators auxquels s’ajoutent des ascenseurs. Les livres sont rangés par un système de tri RFID comprenant tapis et monorails, un fab lab équipé d’imprimantes 3D jouxte un studio radio pourvu de tout l’équipement.

Ces appareils fournissent un service sans doute précieux aux usagers, qu’ils accompagnent en outre dans leur acculturation aux outils de la modernité.

Mais leur présence aura été l’occasion de s’interroger sur la durabilité des bibliothèques dans les années futures. Le bâtiment le plus passif, à même d’apporter un début de réponse à l’urgence climatique, ne devra pas seulement produire lui-même l’énergie dont il a besoin. Il devra aussi fonctionner avec le moins d’énergie possible, c’est-à-dire avec le moins possible de moteurs, et permettre de rendre un service de bibliothèque « à la main ». Cette orientation low tech devra être prise en compte pour la construction comme pour le fonctionnement de la bibliothèque. Elle devra aussi imprégner le service culturel tant dans les collections que dans la programmation.

C’est en poursuivant cette réflexion sur leurs bâtiments et leurs services, en faisant des choix cohérents que les bibliothèques pourront poursuivre leur mission citoyenne d’accompagnement de leurs usagers vers une nouvelle sobriété.

Publié le 27/11/2023 - CC BY-SA 4.0

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