Il fait nuit en Amérique
d’Ana Vaz

Sortie en salles le mercredi 21 février 2024.

Piégées par la ville, des milliers de vies animales survivent dans le zoo de Brasilia. La nuit venue, tamanduas, loups à crinière, chouettes et renards des savanes côtoient biologistes, vétérinaires et soigneurs dans un sombre scénario où les défis de la préservation de la vie tissent une toile de perspectives croisées. Qui sont les véritables captifs ?

Photo du documentaire Il fait nuit en Amérique.
Il fait nuit en Amérique © Fondazione In Between Art Film.

L’avis du bibliothécaire

Commandé et produit par la Fondazione In Between Art Film (basée à Rome), le dernier film d’Ana Vaz s’ouvre sur la lumière bleue de Brasilia, faisant défiler le paysage urbain en l’accompagnant d’une musique lancinante et de bruits de plus en plus oppressants. Cris d’animaux, bruits de travaux, chants des criquets… Le spectateur est immédiatement plongé dans un monde aux apparences binaires : la ville, la nature. Des voitures qui défilent sur les grands axes, des singes enfermés derrière des barbelés.

Il n’y a pas d’homme dans ce film, ou du moins aucun visage n’apparaît à l’écran et pourtant c’est une présence de tous les plans au cœur de cette capitale brésilienne qui grignote peu à peu l’espace essentiel à l’évolution des animaux.
Voilà ce dont il est question dans Il fait nuit en Amérique : des centaines d’espèces sont secourues chaque année par le zoo de Brasilia, où toute une équipe de spécialistes et vétérinaires s’allient pour venir en aide à ces animaux qui souffrent de l’urbanisation rapide de la région et des changements climatiques.
Les autochtones peuvent appeler la police environnementale militaire pour signaler tout animal blessé ou errant dans les rues pavillonnaires ; et l’animal est ensuite récupéré, soigné, puis placé dans le zoo car généralement incapable de retrouver la vie sauvage. Après avoir dû s’accommoder de l’usurpation de son territoire par les envies de grandeur de l’homme, l’animal doit à nouveau s’accommoder d’une vie plus recluse, qui n’est plus celle réclamée par son statut de bête sauvage.

Pour ajouter une nouvelle profondeur à cette « intrigue d’éco-horreur animalière » (la formule est de la réalisatrice), le tournage a été entièrement effectué en nuit américaine. Ainsi, bien que le film ait été réalisé en plein jour, le spectateur est plongé dans une nuit factice aux teintes d’un bleu orageux, comme si rien de bon ni de doux ne pourrait surgir de ces images-là. Comme si l’on ne pouvait rien attendre de positif de l’univers des hommes.
Ce contraste très artistique creuse d’autant plus la portée énigmatique des images, et comme les plans sont généralement serrés, on a également du mal à se projeter dans l’environnement non-filmé. Tout paraît fermé, impénétrable – à tel point qu’on en vient même à douter de la liberté possible pour l’homme, dans cet univers nocturne où plus rien n’est naturel.

Il fait nuit en Amérique a été tourné avec de la pellicule 16 mm, qui est devenue elle-même un produit en voie d’extinction. Cette contrainte supplémentaire de tournage ajoute un grain particulier à l’image, une profondeur poétique qui laisse la place aux mouvements des animaux, à l’absence de contrôle sur ces « acteurs » hors normes que l’on ne peut pas diriger comme les humains. Cette absence de contrôle est accentuée par le support pelliculé, qui doit être développé avant de pouvoir visionner les scènes tournées. Autrement dit, Ana Vaz a dû faire confiance à son instinct et à celui des animaux pour s’assurer qu’elle avait obtenu les images attendues.
Ana Vaz en profite également pour utiliser de la pellicule 16 mm périmée, comme s’il était important pour elle de consommer ce qui existe déjà, et de ne pas se lancer dans un nouveau geste de consommation. Cette vieille pellicule est là comme pour dire que son obsolescence n’est pas une fatalité.

Tourné dans un matériau rare, Il fait nuit en Amérique est en lui-même le symbole de la fragilité de notre époque et des déplacements animaliers que l’homme devrait prendre en considération avant qu’il ne soit trop tard.

Bande-annonce

Rappel

Il fait nuit en Amérique – Réalisation : Ana Vaz – 2023 – Production : Fondazione In Between Art Film – Distribution – Outplay films

Publié le 19/02/2024 - CC BY-SA 4.0

0 0 votes
Article Rating
S’abonner
Notifier de
guest
0 Commentaires
Oldest
Newest Most Voted
Inline Feedbacks
View all comments