Babi Yar. Contexte
de Sergei Loznitsa

Sortie en salles le mercredi 14 septembre 2022.

Les 29 et 30 septembre 1941, deux bataillons de l’armée nazie et la police auxiliaire ukrainienne abattent, sans la moindre résistance de la population locale, 33 771 Juifs dans le ravin de Babi Yar près de Kiev. Le film reconstitue le contexte historique de cette tragédie à travers des images d’archives inédites.

Extraits de l’article écrit par Arnaud Hée pour la revue Images documentairesnuméro 103-104, octobre 2021, consacré à la folie.

Babi Yar. Contexte © Atoms & Void

Sergei Loznitsa persiste et signe un nouveau film essentiel avec Babi Yar. Contexte. La virtuosité de son cinéma de montage, de réemploi n’est plus à prouver, mais on est tout de même assez sidéré par cette capacité de travail, sa profonde intelligence, son aspect extrêmement stimulant, sa haute tenue artistique, sa terrible beauté. Et on éprouve ici une émotion singulière, toute particulière, à travers l’évocation de Babi Yar. Cette veine de son cinéma s’apparente désormais clairement à un programme loznitséen, avec la croyance qu’il y a une visualité et une visibilité de l’Histoire dans ces images survivantes, lacunaires mais portant la trace de ce qui a été.

Depuis Le Siège – auquel on pense fortement lors de certaines séquences, de siège, de défilés de prisonniers, de corps pris dans les glaces, aussi avec la pendaison publique lors de la Libération de Kiev – en passant par Revue, The Event, Le Procès, Funérailles d’État, une part de son cinéma écrit une Histoire en images (préexistantes) et en sons (le plus souvent les siens, toujours en collaboration avec l’excellent Vladimir Golovinski). Un récit historique non livresque, non discursif (ici, comme toujours, seuls quelques cartons essentiels à la contextualisation, pas de voix-off explicative), qui s’élabore avec les moyens sensibles du cinéma.

[…]

Babi Yar. Contexte © Atoms & Void

L’oubli, l’invisibilité voire l’invisibilisation de la grande tragédie du XXème siècle constituée par le massacre des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale traversaient déjà Le Vieux cimetière juif (2012) et Austerlitz (2016), deux films tournés au présent en noir et blanc à Riga et en Allemagne, principalement dans les vestiges du camp de Sachsenhausen. Comment accéder à l’Histoire, aux événements, comment les représenter à partir de leurs rares traces alors que tout tend à leur effacement ? Il aborde donc cette fois, à partir d’images d’archives, le massacre de Babi Yar commis les 29 et 30 septembre 1941 dans ce ravin situé au nord-ouest de Kiev. À la suite de la conquête de la ville par les troupes nazies, 33 771 juifs furent assassinés par balles par le Sonderkommando 4a du Einsatzgruppe C, avec l’aide de deux bataillons policiers locaux. Le titre, aussi sec soit-il est limpide : le film est la reconstruction de ce qu’il y a autour du massacre. Acte 1 : avant Babi Yar. Acte 2 : Babi Yar. Acte 3 : après.

[…]

Babi Yar repose donc sur cette structure ternaire, l’avant et l’après encadre une courte séquence centrale, acte 2 bouleversant. Le propos de Loznitsa est assez simple : si ces images sont contemporaines du massacre, elles contiennent des bribes de l’horreur ; elles ne le rendent pas visible, mais sont en quelque sorte son évocation, par procuration. Au cœur du film donc, une série d’images fixes en couleur de vêtements et d’effets répandus au sol, on aperçoit sur certaines quelques soldats ou bien une foule (où l’on devine des civils) en train de s’affairer à ce qui ressemble à des travaux de terrassement – combler les fosses où reposent les cadavres, déjà l’enfouissement, la fabrication de la possibilité de l’oubli. Certains détails bouleversent : les chaussures d’enfants, une prothèse, une photo qui semble être tombée d’un portefeuille… Entre autres. La bande son est celle d’un été tardif, parcourue par quelques chants d’oiseaux. Le pari de Loznitsa est de faire de ce vide, de cette absence des corps une présence, sinon une représentation, du moins une possibilité de penser, d’imaginer l’indicible.

Arnaud Hée

Bande annonce

https://youtu.be/hv8vsnF3_H0

Rappel

Babi Yar. Contexte – Réalisation : Sergei Loznitsa – 2021 – 2 h 01 min – Noir et blanc – Production : Atoms & Void – Distribution : Dulac Distribution

Publié le 12/09/2022 - CC BY-SA 4.0

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