Appartient au dossier : Le Prix du public Les yeux doc-2021

Du Prix du public aux ateliers de recherche documentaire

Aurélie Quinodoz est responsable de la bibliothèque de l’école supérieure d’art et design de Grenoble depuis près de 20 ans. Elle organise des ateliers de recherche documentaire à destination des étudiants. Cette
année, elle a profité du Prix du public Les yeux doc pour travailler autour des films de la sélection.

Réunion en ligne à l'ESAD de Grenoble
Réunion en ligne à l’ESAD de Grenoble

Comment vous est venue l’envie de travailler autour du cinéma documentaire ?

J’ai développé un fonds spécifique de films documentaires il y a une quinzaine d’années. Si le cinéma documentaire n’a, au premier abord, que peu de liens avec l’art contemporain, j’ai découvert au contraire qu’il n’en était rien lors de ma visite de la Documenta de Kassel (Événement international consacré à l’art contemporain) en 2001. Pour la première fois, je découvrais les films de Chantal Akerman et de Harun Farocki notamment. Intriguée, j’ai creusé la question des liens entre cinéma documentaire et art contemporain pour découvrir un champ tout à fait foisonnant et passionnant. Peu de temps après, un ancien étudiant de l’école, Olivier Zabat, était récompensé au FID Marseille pour son film 1/3 des yeux. Par la suite, de nombreux autres films et œuvres ont confirmé ce lien même si les artistes contemporains mettent parfois à mal une certaine « éthique » du cinéma documentaire. Depuis tout ce temps, mon affection pour le cinéma documentaire n’a pas faibli et je poursuis mon travail souterrain de diffusion de ces formes, à travers une collection, à travers des diffusions publiques et aujourd’hui, à travers ce projet.

En quoi consiste l’atelier de recherche documentaire que vous animez ?

Il est destiné aux étudiants de 1re et 2e année. Si l’atelier s’intitule Recherches documentaires, les enjeux sont plus larges. Il va sans dire que l’objectif est de renouer avec des étudiantes et étudiants dont l’intérêt pour la recherche d’information est peu développé. Dans l’ensemble, ils connaissent les grands principes et il s’agit de trouver des entrées diversifiées vers le fonds documentaire, pour leur en faire toucher du doigt l’étendue et la richesse. Il s’agit également de les accompagner dans leurs pratiques d’écriture car l’enseignement artistique, bien que foncièrement pratique, comporte un volet de description de l’activité artistique, aussi bien dans une forme orale qu’écrite. Les ateliers visent à répondre dès lors à un double objectif : valoriser les ressources documentaires et développer les capacités à mobiliser des sources d’information pertinentes sous différentes formes écrites.

Quel travail avez-vous mené autour du Prix du public Les yeux doc ?

Chaque année j’essaie de me renouveler pour que ce soit plus stimulant mais aussi parce que j’apprends au fur et à mesure. L’expérience permet de voir ce qui fonctionne ou pas avec les étudiants. Là, le projet d’un prix du public a été l’occasion de mener un atelier avec les étudiantes et étudiants de 2e année. En effet, l’idée d’une sélection permet d’orienter rapidement le travail et les films proposés sont très largement des films « à dispositifs ». Si tout film travaille sa forme, les films proposés ont chacun des esthétiques et des partis pris esthétiques forts qui peuvent entrer en écho avec les projets des étudiantes et étudiants. Ils sont par ailleurs l’occasion de pointer des problématiques sociales tout en cherchant la forme juste pour dire « les réels » à travers la notion de point de vue. Il leur est demandé de travailler en groupe. Chaque groupe doit choisir un film parmi la sélection et produire un texte qui présente le film, les motivations du groupe, l’analyse d’une séquence, l’analyse d’un film, du contexte, les liens avec d’autres œuvres, son inscription dans le champ de l’art ou dans le champ social et politique, etc.

Comment s’est organisé ce travail avec les étudiants ?

Je propose des ateliers sur un semestre. Nous nous voyons une matinée ou une après-midi tous les 15 jours. La première séance a été le moment de présentation du prix et de la plateforme Les yeux doc. J’ai fait une présentation large du cinéma documentaire et du cinéma d’auteurs, en proposant quelques textes pour élargir la connaissance des étudiantes et étudiants. Nous avons terminé la séance en visionnant ensemble le film Les Vaches n’auront plus de nom. Ce film me semblait avoir des liens avec leur propre pratique, que ce soit par rapport à l’auto-filmage, à l’intimité, au lien familial et à ce qu’est être un jeune artiste. Nous avons décidé conjointement de ne pas faire de commentaires « à chaud », considérant que la prise de parole est un exercice qui mérite un minimum de travail ou d’entraînement. Toutefois, le film a visiblement retenu leur attention. Ils ont apprécié un certain humour  et le rapport aux animaux auquel ils sont très sensibles. 

La deuxième séance a été un moment de présentation de mon processus de recherche d’un deuxième film et d’un texte d’accompagnement. Nous avons donc parcouru différentes plateformes de ressources documentaires et ils ont travaillé un texte à propos du film que nous avions regardé ce jour-là : Vidéocartographies : Aïda Palestine de Till Roeskens. Le film est assez court ce qui m’a permis de laisser un peu de temps après le visionnage pour discuter et voir comment on pouvait parler d’un film. Je leur ai présenté un ensemble de  ressources pour la recherche documentaire et pour voir les différentes formes possibles d’écriture universitaire, journalistique ou artistique. L’idée c’est d’initier une dynamique pour qu’ils puissent ensuite s’en saisir. 

Est-ce que la situation sanitaire a affecté ce projet ?

Nous avons eu la chance de pouvoir faire ces deux séances en présentiel. Avec le confinement, nous avons ensuite dû poursuivre ce travail à distance. Les étudiantes et étudiants devaient donc choisir un film et proposer une présentation orale justifiant leur choix et une présentation écrite à la fin du semestre. Nous nous sommes réunis en ligne ce qui a permis de faire une restitution collective et de discuter sur les films choisis. Une dizaine de groupes a pu ainsi faire ce travail. La présentation devait durer cinq minutes même si souvent ça dépassait. J’ai été très agréablement surprise par ces moments d’échange. J’ai aussi été attentive à ce que le travail lié à la bibliothèque ne soit pas source de davantage de travail en dehors des heures que nous avons à passer ensemble. Ils ont travaillé seuls par moments mais j’ai toujours interagi avec eux. Je corrige au fur et à mesure, il y a des va-et-vient. 

Justement, comment ont-ils choisi ces films ?

Au départ je voulais attribuer à chacun un film mais comme très souvent je réadapte mes propositions. Finalement, leur imposer un film ne me semblait pas très judicieux. Le fait qu’ils soient libres de leur sélection leur a permis, s’ils le souhaitaient, de voir plusieurs films. Parfois, plusieurs ont choisi le même film, mais ce qui était intéressant c’est justement de réaliser qu’ils n’ont pas le même regard sur une œuvre.

Avant de démarrer ce projet, avaient-ils une idée préconçue de ce qu’est le cinéma documentaire ?

Oui et encore maintenant, même si les lignes ont un peu bougé. Ils comprennent bien qu’il y a un point de vue et pas forcément une recherche de neutralité, que le point de vue se fabrique, et que dans ce cinéma il y a moins la recherche d’une objectivité que d’un regard. Ils admettent ce regard d’auteur mais je ne suis pas sûre que l’auteur qu’ils voient est à leurs yeux  un artiste comme eux le conçoivent. Un documentaire peine à être, pour eux, une œuvre plastique. Pourtant, on peut vraiment construire une œuvre à partir d’un matériau documentaire. Je pense à des virtuoses du montage tel que Jean-Gabriel Périot, ou d’autres artistes auxquels je suis particulièrement sensible. Avi Mograbi par exemple, est pour moi plus qu’un documentariste, notamment dans sa manière de se mettre en scène. Dans ce jeu, il y a quelque chose qui est très proche de ce que peuvent fabriquer les plasticiens. 

Quelques exemples de travaux d’étudiantes et étudiants :

Critique de Derniers jours à Shibati
Critique de Derniers jours à Shibati
Critique de Derniers jours à Shibati
Critique de Derniers jours à Shibati
Critique de Homo Botanicus
Critique de Homo Botanicus

Publié le 27/01/2021 - CC BY-SA 4.0

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