Entretien avec Catherine Bizern sur le Festival Cinéma du Réel 2022

Depuis l’automne 2018, Catherine Bizern est la déléguée générale et la directrice artistique du Festival Cinéma du Réel, le rendez-vous parisien et international du cinéma documentaire. Elle revient pour Les yeux doc sur l’édition 2022 du Festival.

Ouverture du festival le jeudi 10 mars 2022 - Catherine Bizern
Ouverture du festival le jeudi 10 mars 2022 – Catherine Bizern ©Dao Bacon

Quels sont les grands axes de la programmation artistique de cette 44e édition ? 

Il y a bien entendu les rendez-vous annuels qui reviennent à chaque édition du festival. La compétition est la raison d’être de celui-ci, ce pourquoi il rassemble du public depuis 44 ans à Paris et pour lequel il est reconnu par l’ensemble des professionnels à l’international. Elle est la véritable colonne vertébrale du festival. Deux autres rendez-vous réguliers existent depuis 2019, « Front(s) populaire(s) » et « Le festival parlé ». La programmation « Front(s) populaire(s » s’axe autour de la dimension politique du cinéma documentaire. Ces soirées constituent le rendez-vous militant du festival et sont au plus près des questionnements des citoyens. Évidemment, depuis 2019, le festival a beaucoup abordé les soulèvements et les différents mouvements de revendications. Cette année, après la pandémie qui nous a privés d’espaces en commun, nous avons mis en place une programmation intitulée « espace de la lutte », en partant du principe que de se montrer en public est une manière de revendiquer sa place dans le monde. Enfin, « Le festival parlé » est une journée de discussions consacrée à la question « Qu’est ce que le documentaire ? » élargie à d’autres arts que le cinéma (danse, théâtre..) et d’autres modes de pensées (historiens, architectes…). Cette année, nous avons interrogé le concept de vérité, car on confond souvent réalité et vérité et il arrive souvent qu’on assigne au documentaire l’obligation d’être vrai.

La proposition particulière de cette édition était « L’Afrique documentaire », un panorama sur le cinéma contemporain africain. Nous avons montré une trentaine de films de toute l’Afrique depuis le Maghreb jusqu’à l’Afrique du sud en passant par l’Egypte, l’Afrique centrale, l’Afrique francophone, lusophone et anglophone. Nous avons proposé à tous types d’acteurs du documentaire africain de venir au Festival afin de faire un retour sur leurs différentes pratiques ainsi que sur leur relation personnelle avec leurs histoires coloniales. Il y a eu un retour en arrière sur le cinéma africain des années 1970 portant son engagement sur les questions d’indépendance et de démocratie. L’Algérie était notamment un grand pôle du cinéma de guérilleros. En termes de films et de rencontres, le Panorama a été un très grand événement.

Pouvez-vous nous dire quelles séances ou rendez-vous vous ont le plus marquée pendant cette édition ?

C’est très compliqué de faire un choix car je n’ai pas pu assister à toutes les séances et beaucoup d’événements se déroulent en même temps. Je vais tout de même retenir plusieurs moments forts auxquels j’ai assisté. Tout d’abord, la programmation des trois films de Mathieu Amalric autour du travail de John Zorn. Organiser ces projections a été important pour Mathieu et pour moi. C’est la première fois que le Zorn I et le Zorn II étaient montrés ensemble. Mathieu a d’ailleurs terminé le Zorn III deux jours avant la projection. Cela faisait deux ans que nous en parlions, Mathieu demandait : « Mais Catherine, crois-tu que ce film intéresse d’autres personnes que des Zorniens ? » Et moi qui suis béotienne en Zorn, je lui répondais évidemment que oui ! C’était très émouvant de voir la réaction du public qui s’est précipité de la salle cinéma 2 jusqu’à la salle cinéma 1 pour enchaîner les deux séances. Barbara Hannigan a assisté à la discussion avec le réalisateur à la fin du film. Ils étaient tous les deux émus, c’était très beau.

Barbara Hannigan et John Zorn dans Zorn III de Mathieu Amalric
Barbara Hannigan et John Zorn dans Zorn III de Mathieu Amalric ©Film(s)

Un autre moment qui m’a particulièrement fait plaisir est la projection du film Afrique je te plumerai (1992) de Jean-Marie Teno. Il se trouve que j’ai montré ce film en 1993 et connais donc ce cinéaste depuis 30 ans. Voir ce film, racontant les revendications des Africains depuis les indépendances, en salle en présence de cinéastes contemporains tels que Mohamed Said Ouma, Kiswendsida Parfait Kaboré, Amédée Pacôme Nkoulou, Moumouni Sanou et Dieudonné Alaka était bouleversant car, depuis trente ans, la situation politique n’a pas vraiment changé. La prise de parole de ces jeunes cinéastes face à Jean-Marie Teno, un modèle d’engagement de la génération qui les a précédés, était un moment fort qui confirmait aussi la pertinence de la diffusion de ce film parmi les propositions contemporaines.

Autre moment marquant pour moi, la séance en compétition de deux courts métrages de cinéastes auxquels je suis particulièrement attachée, Jean-Claude Rousseau et Éric Baudelaire. La projection de leurs deux derniers films, Le Tombeau de Kafka et When there is no more music to write and other roman stories, était complète en Cinéma 1, même en deuxième diffusion. Le public était au rendez-vous pour ces cinéastes que nous suivons depuis des années.

J’attendais énormément de la projection du film brésilien en compétition Dry Ground Burning. Celui-ci peut être vu comme l’équivalent en 2022 du travail de Pedro Costa d’il y a vingt ans. Quand Cinéma du réel décide de montrer Dans la Chambre de Wanda en 2000, c’est un geste de programmation qui est très fort, dont je me souviens encore et que je souhaitais célébrer en invitant Pedro Costa en 2020. Le film Dry Ground Burning est avant tout une fiction. Celle-ci travaille l’émancipation des personnes et le documentaire interrompt cette prise de pouvoir. Passer ce type de films permet d’en finir avec la notion d’hybridité, désuète selon moi. J’attendais donc beaucoup de cette séance et je n’ai pas été déçue car le public était présent, le film a été repris par la presse et il a reçu le Grand Prix, c’est formidable !

La venue de Sergueï Loznitsa était très touchante aussi car la projection de Mr. Landbergis aurait dû être une soirée festive pour célébrer l’anniversaire de l’indépendance de la Lituanie et fut l’occasion d’un discours poignant du réalisateur. [sur la guerre en Ukraine]

Le cinéaste Jean-Marie Teno
Le cinéaste Jean-Marie Teno pendant la séance d’Afrique, je te plumerai ©Dao Bacon

Quelles relations le festival entretient-il avec le monde des bibliothèques pour cette édition 2022 ?

Il y a beaucoup de points de rencontres entre le festival et les bibliothèques. Déjà le Prix des bibliothèques, constitué d’un jury de 3 bibliothécaires accompagné par un professionnel du cinéma (cette année Matthieu Chatellier), récompense un film tous les ans. Le Prix est doté par le Ministère et le film est acheté par la Bpi. Cette année, c’est le film Nous étudiants de Rafiki Fariala qui l’a remporté et nous sommes très contents car c’était le seul film africain en compétition. 

Une formation professionnelle est également organisée tous les ans par l’association Images en bibliothèques pendant le festival. Les professionnels viennent trois jours sur le festival, regardent des films en salles et rencontrent des cinéastes. Cela peut être un temps de formation important pour les bibliothécaires. Elle était accompagnée cette année par Stéphane Mercurio.

Il y a aussi la commission d’Images en bibliothèques qui labellise des films issus de la compétition qui pourront être diffusés par les bibliothèques. Enfin, nous organisons des circulations gratuites de films en compétition dans les bibliothèques entre avril et juin en partenariat avec La cinémathèque du documentaire et Images en bibliothèques. 

Le festival est né à la Bpi et est organisé en grande partie par cette bibliothèque. Il existe donc une relation privilégiée entre Cinéma du réel et le monde des bibliothèques. De manière générale, la constitution de collections audiovisuelles documentaires et la diffusion de ces films font partie des missions des bibliothécaires. Sans oublier que les documentaires sont facilement classables de manière encyclopédique autour de sujets thématiques. Le festival étant avant tout dédié au cinéma, l’idée est d’insuffler une vision davantage artistique du cinéma documentaire aux bibliothécaires.

Deux films primés par les bibliothécaires depuis votre arrivée sont disponibles sur la plateforme, Laissez brûler (primé en 2019) et Paysages résistants (primé en 2021) serait-il possible d’en dire quelques mots afin de donner envie à nos spectateurs ?

Ce que je trouve très beau, c’est que ce sont deux films extrêmement différents. Laissez brûler est en cinéma direct et accorde une grande place au présent. Le rapport aux personnages est immédiat. Il existe une tension du plan très forte qui permet aux protagonistes d’aller au-delà de leur propre représentation. Paysages résistants est beaucoup plus contemporain dans sa forme car il mélange un travail très formel sur les paysages avec le portrait d’une combattante à l’histoire incroyable mais il conserve aussi un lien avec le temps présent puisque la cinéaste Marta Popivoda est une activiste, à l’instar du personnage principal. Quand je pense à ces deux films, les protagonistes me reviennent immédiatement à l’esprit. Je vois les femmes sur le toit de l’hôtel Parque de Sao Paulo et cette vieille dame qui raconte son histoire dans son fauteuil. La puissance de la vie est transmise par la manière dont ces protagonistes sont captés par les cinéastes.

En savoir plus sur le Festival :

Le Site de Cinéma du réel

La circulation des films du réel en France dans vos bibliothèques

Le blog médiapart de Cinéma du réel

Acheter les Actes 1 et 2, 2019 et 2020 du Festival parlé sur le site des éditions de l’oeil.

Lire les cahiers de note du Jury des bibliothèques 2022 sur Bpipro

Publié le 22/04/2022 - CC BY-SA 4.0

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