In Viaggio
de Gianfranco Rosi

En 2013, pour son premier voyage, le pape François se rend sur l’île de Lampedusa. il y fait appel à la solidarité avec les migrants. Depuis le début de son pontificat, il a déjà visité cinquante-trois pays, s’exprimant tour à tour sur la pauvreté, la dignité, le climat, les migrations et la condamnation de toutes les guerres. À travers un montage d’archives, Gianfranco Rosi retrace l’itinéraire du pape, témoin de la misère du monde et toujours plus conscient des limites du réconfort de ses paroles.

Avec In Viaggio, Gianfranco Rosi réalise un film étonnant à plus d’un titre. Il constitue un conséquent pas de côté dans sa trajectoire de cinéaste affichant et assumant, en artisan patient et exigeant de ses propres images, un formalisme sophistiqué. En effet, il reprend ici pour l’essentiel des images déjà tournées lors des trente-sept voyages du souverain pontif François depuis 2013. Si ces images sont parfois fortes, ce ne sont assurément pas celles que lui aurait faites. Elles sont le plus souvent ingrates, sans qualités, réalisées pour informer, documenter, ce sont des images médiatiques – ce qui ne signifie pas, évidemment, qu’elles sont objectives. Soit tout ce à quoi le cinéma de Gianfranco Rosi tourne le dos. En effet, Notturno (2021) et Fuocoammare, par-delà Lampedusa (2016) s’affirment, au-delà de leurs caractéristiques esthétiques, comme un cinéma de contre-information prenant place dans une temporalité d’anti-actualité – le chaos des frontières du Moyen-Orient, l’île italienne symbolisant la tragédie des migrations en Méditerranée.

Si Gianfranco Rosi s’empare de ces images, ce n’est pas pour leur faire dire la même chose que leur fonction première. Dans un remontage très personnel, s’explicitent des croisements avec la vision de l’état du monde que ses films précédents formulaient – on reconnait ainsi quelques plans de Notturno, ou le tueur voilé de noir tel une veuve de El Sicario chambre 164 (2010). Au tout début d’In Viaggio, il reprend aussi un plan très marquant de Fuocoammare : on perçoit les échanges entre sauveteurs et migrants alors que la tragédie est imminente, tandis qu’un radar tournoie avec l’indifférence d’une machine. À la prière des naufragés désespérés s’oppose une phrase : « Quelle est votre position ? » Cette question nous est reposée ici, avec toute sa dimension politique.

Une bonne partie de l’intérêt du film émane du fait qu’il réussit, selon les vœux de son réalisateur, à porter sur le pape un regard et une attention qui ne soient pas idéologiques et/ou théologiques. Si « Quelle est votre position ? » nous est demandé, ce n’est pas en relation à la papauté ou au christianisme mais par rapport à l’expérience que l’on fait du monde que traverse le pape François. Tout renvoie à une constance, une droiture, mais aussi à une immense solitude tandis que la parole papale bute sans cesse et impitoyablement sur la réalité. Cet état de fragilité va jusqu’à atteindre le corps de cette poignante figure humaine, un certain Jorge Mario Bergoglio.

Arnaud Hée

Bande annonce

Rappel

In Viaggio – Réalisation : Gianfranco Rosi – 2022 – 1 h 20 min – Production : Gianfranco Rosi, Donatella Palermo – Distribution : Météore Films