La mort de Danton
de Alice Diop

Une force et une cohérence sous-tendent l’oeuvre d’Alice Diop : la cinéaste utilise sa voix, singulière et engagée, pour porter celles des autres. Rencontre autour du film La Mort de Danton dans lequel Steve, apprenti comédien cherche sa place dans un monde qui catégorise et étiquette, le ramenant constamment à sa couleur de peau et à la banlieue qu’il habite.
Photo d’Alice Diop, réalisatrice de la mort de Danton.

Quel rapport entretenez-vous avec ce film ?

Je suis très contente d’avoir fait ce film et d’avoir réussi à mettre en forme, par le parcours sensible et par la trajectoire singulière de Steve, quelque chose qui brûlait en moi, c’est-à-dire que des gens puissent voir, sentir et entendre
ce qu’est l’expérience de la minorité, ce qu’est la violence d’être assigné à une classe, la violence d’être enfermé dans le regard de l’autre. C’est quelque chose qui court dans tout mon cinéma et que je n’ai de cesse de travailler de film en film : être un haut-parleur pour une classe sociale, pour des gens qu’on entend peu, qu’on voit peu et dont l’expérience est peu dicible. L’expérience de violence intime est peu montrée, et je trouve qu’avec La Mort de Danton, c’est la première fois que je suis allée aussi loin dans cette volonté-là. Je continue à beaucoup accompagner ce film dans des endroits très différents comme des universités, des lieux dédiés au théâtre, d’autres où la question cinéphilique est très importante. C’est un film très contemporain encore aujourd’hui, dix ans après. Il l’est d’ailleurs peut-être encore plus aujourd’hui qu’au moment où je l’ai tourné.

Est-ce que pouvez revenir sur le tournage et la violence que cela a pu être pour vous ?


L’expérience que Steve vivait au cours Simon dans l’intimité de sa relation avec son professeur, c’est aussi ce que j’ai vécu pendant ces trois années au cours Simon. J’étais complètement niée en tant que possible réalisatrice et c’est d’ailleurs cette impossibilité de me voir comme une réalisatrice professionnelle qui m’a permis d’avoir accès à tout. L’absence de regard et d’intérêt que les gens du cours Simon pouvaient avoir à mon égard m’ont permis de faire le film que j’ai fait.C’était également très difficile de voir des choses que Steve ne voyait pas et de voir résonner des situations similaires dont j’avais pu être la victime et dont je continue d’ailleurs à l’être parfois. Mais cette violence était atténuée par le fait que je savais que j’allais en faire un film qui ne serait pas à charge. Je savais que la transformation de ces choses vécues dans la réalité d’un film allait permettre de pouvoir les interroger, les mettre en récit et les proposer à une discussion possible.

Avez-vous été attentive à la carrière de Steve qui a décollé par la suite ?


Je n’ai jamais douté qu’il deviendrait comédien parce que je trouve que c’est un bon comédien, qu’il a une vraie​ ciné-génie, qu’il est extrêmement puissant, donc j’étais très heureuse, mais ça a juste confirmé ce que j’avais senti de manière très prégnante pendant ces trois années. Cela me rassure d’avoir eu cette intuition dès le départ. C’est vrai aussi que je suis extrêmement proche de lui, j’ai suivi les moments heureux et les moments de doute qui jalonnent tout parcours de comédien.

Voir le film : https://www.lesyeuxdoc.fr/film/170/la-mort-de-danton

 

Publié le 07/03/2018 - CC BY-SA 4.0

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