Appartient au dossier : Grandeur et misère du drive

Le drive, plus qu’un pis aller pour crise sanitaire ?
par Thierry Antoine, Chef de Bureau «Documentation Numérique», Médiathèque André Malraux, Béziers

Reprise de l’activité à Béziers, © Ville de Béziers

Présentez-nous votre établissement.

La médiathèque est située au centre du territoire de l’Agglo Béziers Méditerranée et au centre géographique de la ville de Béziers, sur la place du 14 juillet. Elle jouxte le CIRDOC (Centre Interrégional de Développement de l’Occitan), l’IUT inauguré en septembre 2011, le centre universitaire Paul Valéry et le restaurant universitaire.

Médiathèque d’Agglomération, elle a vocation à desservir une population de 123 000 habitants.

Ses 150 000 documents tous supports constamment réactualisés (livres, DVD, presse, partitions, CD…)

Elle compte 23 000 abonnés et 50 agents.

Parlez-nous de la mise en place du service de réservation à distance. Dans quel contexte a-t-il été pensé, comment organise-t-on un tel service ?


Le service de réservation à distance a été imaginé tout à fait indépendamment de la crise sanitaire et mis en place avant le début de celle-ci. L’idée de proposer un système de retrait rapide de documents qui auraient été pré-choisis par les lecteurs à partir du catalogue a commencé à émerger lors de discussions autour de l’élargissement des horaires d’ouverture : certains agents, par ailleurs parents d’enfants en âge scolaire, ont fait remarquer que le moment où ils avaient du temps disponible (le soir après le coucher des enfants) ne se trouvait jamais dans les scénarios, même les plus ambitieux, d’élargissement de nos horaires. 

Par ailleurs, nous avions apporté à l’époque un soin tout particulier à nettoyer notre catalogue et à le mettre en valeur sur notre site Internet. La navigation dans ce catalogue était devenue beaucoup plus facile et agréable. 

Une idée a donc émergé : permettre le choix intellectuel des documents en dehors des horaires d’ouvertures et faciliter au maximum le retrait physique des documents par des usagers pressés qui n’auraient qu’à s’arrêter quelques minutes à la médiathèque (par exemple au retour de l’école ou du travail) pour récupérer des documents qu’ils auraient sélectionnés la veille au soir ou pendant leur pause déjeuner… Le service a donc été pensé au départ comme un moyen d’élargir les horaires d’accès aux collections, y compris virtuellement lorsque le bâtiment était fermé. 

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? En termes techniques, logistiques mais aussi humains et managériaux ?

Au niveau technique, les outils dont nous disposions étaient très insuffisants : si notre portail Internet permettait la constitution de paniers par les abonnés, il n’était pas possible, contrairement à ce qui se fait sur les sites marchands auxquels sont habitués les lecteurs, d’envoyer directement son panier pour traitement. Nous avons donc dû inventer (bricoler) grâce à des compétences en interne un système de formulaire sur notre portail, un renvoi vers un site dédié, une adresse mail spécifique… bref un ensemble de stratégies de résolution des manques techniques qui au final rendent l’utilisation du service plus complexe, moins intuitive et moins efficace que souhaitée. 

Au niveau humain et managérial : le service a été pensé puis travaillé par un groupe d’agents tout à fait à l’aise avec l’outil informatique et plutôt friands de numérique. Lors de sa présentation à l’ensemble du personnel et de sa mise en place, un certain nombre de craintes ont été exprimées, parfois de manière assez forte. Ces craintes concernaient surtout deux domaines : 

– la charge de travail : la mise en place de ce nouveau service a été perçue comme risquant de constituer une charge de travail supplémentaire pour les équipes, ce qui est plutôt logique pour un service voulu comme une façon d’élargir les horaires de manière virtuelle. Cette crainte a été assez vite levée car nous avions mesuré cette charge et adapté l’organisation de la médiathèque. 

– la valeur de ce nouveau service par rapport aux missions des médiathèques et même, par rapport à notre déontologie. C’est un point un peu étonnant mais sans doute la communication sur les objectifs de ce service (permettre à un plus grand nombre de personnes d’avoir accès aux collections de la médiathèque…) a-t-elle été insuffisante par rapport aux ressemblances que certains pouvaient y trouver avec des services commerciaux. Les retours des usagers et, malheureusement, le confinement ont montré que cette crainte ne correspondait pas à la réalité, le « drive » ayant été par moment le seul moyen de continuer à offrir un service de lecture publique.

©Villes de Béziers

Quels sont les retours des usagers ? Qui utilise ce service : des habitués ou de nouveaux publics ?


Les retours des usagers sont excellents malgré une qualité de service qui reste à améliorer (complexité de la procédure notamment, certains documents non trouvés alors que marqués disponibles etc.) A cause du confinement il est difficile de dire qui a adopté ce service par choix et qui l’a adopté par défaut… Les premiers éléments statistiques que nous avons eus avant le confinement semblent montrer qu’il n’y a pas vraiment de public type puisque nous retrouvions tous les types de prêts et d’emprunteurs parmi les usagers. Un public particulier que nous n’avions pas prévu semble utiliser aussi le service, il s’agit des aides à domicile pour les personnes dépendantes qui choisissent ainsi les documents avec la personne ne pouvant se déplacer à la médiathèque et viennent récupérer ensuite les documents seule.

Selon vous, ce service favorise-t-il une politique de réponse à la demande au détriment d’une stratégie de l’offre ?

Le choix des lecteurs pour un « cliquez et emportez » se fait à partir du catalogue sur le site Internet, comme il se fait en rayon sur place, c’est à dire en fonction de ce qu’ils veulent et en fonction de ce qu’on leur propose… Il est possible de mettre en valeur au moment du choix du lecteur des documents, aussi bien en ligne que sur nos étagères. Cela demande une médiation qui reste, certes, en grande partie à inventer mais qui peut être tout aussi importante que sur place et qui est même, je crois, plus attendue et demandée par nos lecteurs. 

Faute d’un outil pour l’instant satisfaisant et compte-tenu des difficultés liées à la situation sanitaires nous n’avons pour l’instant pas pu mettre en place tous les moyens de médiation dont nous voulions accompagner notre service de « cliquez et emportez » comme par exemple : 

– proposer en option le remplacement d’un document demandé par un document jugé équivalent par le bibliothécaire si le document demandé s’avère indisponible (par ex : « vous avez demandé « The Soul Album » d’Otis Redding mais celui-ci est actuellement en réparation, nous vous proposons de découvrir « Time and place » de Lee Moses)

– proposer des paniers « thématiques » déjà préparés (par ex : « découverte du Japon : 3 films, 3 livres, 3 cd » ou « découverte du jazz en dix cd » « cinq romans coup de cœur de votre médiathèque » etc.

L’utilisation de termes commerciaux anglo-saxons tels que le drive et le click and collect est devenue commune pour décrire ce service. Comment ces expressions dérivées du monde marchand sont-elles accueillies par les équipes ? Pensez-vous que la popularité de ce vocabulaire issu du marketing nuise à l’image du service public ou au contraire qu’elle lui soit bénéfique ? Ces dénominations contribuent-elles à donner une image moderne à la bibliothèque ?

Nous souhaitions éviter d’utiliser ces termes car ils ont semblé créer, lors de la réflexion sur le service, des malentendus ou des réactions un peu épidermiques chez certains collègues… Malheureusement au bout de la pire des séances de brainstorming remue-méninges de notre histoire, la seule solution que nous ayons trouvée a été de franciser le « click and collect » en « cliquez et emportez ». Nous sommes donc preneur de toute bonne idée pour nommer un tel service (qui n’est pas un « drive » et qui ne se résume pas à un « click and collect »…)

Je pense cependant qu’il ne faut pas s’exagérer l’importance du vocabulaire, l’important étant le contenu du service. 

Quel serait le bilan de cette expérience ? Envisagez-vous de poursuivre ce service hors confinement  ? Comment l’articuler avec le reste des activités de la bibliothèque ? 

Le bilan est forcément très influencé par la crise sanitaire : sans le service « cliquez et emportez » de nombreux lecteurs auraient été privés de documents pendant des semaines supplémentaires, soit parce que la médiathèque était fermée, soit parce qu’eux-même craignaient de passer trop de temps dans le bâtiment. Il est fort probable que des nouvelles habitudes de consommation aient vu le jour au cours de cette année 2020 si particulière. Les services de type « drive » seront sans doute une réponse à ces nouvelles habitudes, confinement, reconfinement, couvre-feu, recouvre-feu ou pas.

Je ne pense pas que ce service ait des difficultés particulières à s’articuler avec les autres activités d’une bibliothèque, il s’agit simplement de pouvoir y consacrer les ressources nécessaires, c’est donc une question de choix.

Après tout ce service n’est qu’une énième déclinaison et adaptation de notre mission essentielle : favoriser et faciliter le rapprochement entre l’adhérent et le document que cela soit au niveau matériel ou intellectuel.

Drive à Béziers, © Ville de Béziers

Publié le 01/02/2021 - CC BY-SA 4.0

0 0 votes
Article Rating
S’abonner
Notifier de
guest
0 Commentaires
Oldest
Newest Most Voted
Inline Feedbacks
View all comments