Les Années super 8
David Ernaux-Briot et Annie Ernaux

Sortie en salles le mercredi 14 décembre 2022.

« En revoyant nos films super 8 pris entre 1972 et 1981, il m’est apparu que ceux-ci constituaient non seulement une archive familiale mais aussi un témoignage sur les loisirs, le style de vie et les aspirations d’une classe sociale, dans la décennie qui suit 1968. Ces images muettes, j’ai eu envie de les intégrer dans un récit croisant l’intime, le social et l’histoire, de rendre sensibles le goût et la couleur de ces années-là. » (Annie Ernaux)

Photo du documentaire Les Années super 8.
Annie Ernaux dans Les Années super 8 © Les Films Pelléas

L’avis du bibliothécaire

Famille Ernaux

Annie Duchesne est née en Normandie en 1940 dans une famille d’ouvriers qui deviendront propriétaires et tenanciers d’un café-épicerie à Yvetot. Elle se marie en 1964 avec Philippe Ernaux, étudiant à Sciences po. Au milieu des années 60, le couple s’installe à Annecy avec ses deux enfants, Éric et David, et la mère d’Annie venue aider à gérer la maisonnée. Annie est professeur de lettres en collège et Philippe, secrétaire général adjoint de la mairie. En 1977, Philippe, bel homme aux cheveux pas trop courts, comme on les porte à cette époque, est nommé secrétaire général de la mairie de la ville nouvelle de Pontoise, au nord-ouest de Paris, où ils s’installent : « Été 77, nous avons emménagé dans une maison à la lisière des champs, une grande maison des années 50 avec balcon. » Annie et Philippe se séparent en 1981.

Films super 8

En 1972, le couple achète une caméra super 8 Bell et Howell avec laquelle Philippe réalise jusqu’en 1981 des films de famille ressemblant à la plupart des films de famille : enfants qui grandissent, fêtes, vacances. Quand le couple se sépare, Philippe part avec la caméra mais laisse les neuf années de bobines super 8 à Annie.

Cinquante ans plus tard, un des fils du couple, David, adjoint à ces images muettes un commentaire écrit et lu par sa mère. Les Années super 8 est sélectionné à la section de la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2022, année où Annie Ernaux reçoit le prix Nobel de littérature.

Images et texte

L’image ressuscite les années giscardiennes clôturant la période des « Trente glorieuses », ces trente années ayant suivi la Seconde Guerre mondiale qui offrirent aux classes moyennes l’accès au voyage, au ski, aux clubs-vacances et à la culture. On découvre une famille de gauche vivant dans un intérieur bourgeois, qui va, à l’occasion, passer ses vacances dans des pays socialistes, en Albanie, ou au Chili d’Allende grâce à un voyage organisé par Le Nouvel Observateur, hebdomadaire de l’avant-garde culturelle de la gauche non communiste. À Santiago, ils logent au Sheraton et sont invités à la Moneda, le palais présidentiel, pour une rencontre avec Allende et deux de ses ministres qui développent pendant une heure leurs mesures révolutionnaires. Ils se rendent au Maroc, dans un club de vacances pour occidentaux, ou en Ardèche, chez la sœur de Philippe qui vit avec son amie dans un village perdu, avant que cela ne devienne à la mode. On voit Annie Ernaux, en robe chic à Annecy, serrer les mains de notables lors d’un festival Wagner, ainsi que beaucoup de séquences universelles consacrées aux enfants jouant dans la nature.

Sur la bande son, Annie Ernaux décrypte ses proches : « Ma mère vivait avec nous depuis la mort de son mari et la vente de son café-épicerie à Yvetot en Normandie, heureuse de vivre avec nous mais consciente, comme elle nous a lancé un jour de colère, de ne pas faire bien dans le décor. À la maison elle portait presque toujours une blouse à fleurs […] toujours en tailleur dehors. » Elle nomme son mari « Philippe Ernaux » : « Si je m’interroge sur l’étrange désir de Philippe Ernaux de toujours filmer les objets transplantés d’une maison à l’autre, j’y vois le signe d’une insécurité cachée, celle d’un enfant mis en pension chez les jésuites à huit ans et dont les parents n’ont cessé de déménager. » Elle parle d’elle à la troisième personne : « Derrière l’image de la jeune femme lisse, je ne peux m’empêcher de me souvenir qu’il y a une femme taraudée secrètement par la nécessité d’écrire et de, comme je l’avais noté dans mon journal, regrouper tous les éléments de ma vie en un roman violent. »

Florencia Di Concilio a composé une musique originale.

Autobiographie d’une écrivaine

Annie Ernaux décrit l’irruption, dans cette vie rangée, dans ces images banales, de son désir d’écriture. À propos du Chili, elle dit par exemple : « Ce voyage me rappelait la promesse que je m’étais faite à vingt ans : j’écrirai pour venger ma race. » Au cours de vacances à La Clusaz, elle ne skie pas, comme les autres, son esprit est ailleurs. Elle écrit en secret son premier roman, Les Armoires vides, édité en 1974 chez Gallimard, où elle exprime son tiraillement entre le milieu social d’où elle vient et la vie qu’elle mène. Elle publie Ce qu’ils disent ou rien en 1977, et La Femme gelée en 1981, année où elle se sépare de son mari.

Cette autobiographie filmée, aux tonalités émouvantes et froides, nous offre de nouvelles et passionnantes clefs pour accéder à l’univers d’Annie Ernaux. 

On pourrait rapprocher cette œuvre de Méditerranées, méditation lyrique réalisée en 2012 par Olivier Py à partir de films super 8 familiaux sur ses proches dont le destin se confond avec celui de l’Algérie et de la France des années 1960.

Jacques Puy

Bande annonce

Rappel

Les Années super 8 – Réalisation : David Ernaux-Briot & Annie Ernaux – 2022 – 1 h 05 min – Production : Les Films Pelléas – Distribution : New Story Totem Films

Publié le 12/12/2022 - CC BY-SA 4.0

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