Portrait de lecteur # 1 : Nathan Par Élodie Hommel, docteure en sociologie, enseignante à l'ITIC (Université Paul Valéry Montpellier 3) et chercheuse associée au Centre Max Weber
Portrait d’un jeune lecteur réalisé par la sociologue Élodie Hommel, dans le cadre d’une enquête qualitative sur les parcours de lecture des jeunes adultes, menée en partenariat avec le Service études et recherche (SER) de la Bpi et le Centre Max Weber de l’ENS Lyon.
Nathan, 27 ans, intérimaire en logistique, est issu d’une famille populaire (mère employée, père agent de contrôle qualité, frères ouvriers). Ses lectures se divisent en deux catégories : des lectures fictionnelles, centrées sur la bande dessinée (en particulier les mangas) et marquées par son intérêt pour le Japon, et quelques lectures didactiques en lien avec sa passion pour la musique et la lutherie. On pourrait le qualifier de faible lecteur, autant du point de vue quantitatif (un à deux mangas ou albums de bande dessinée lus par mois) que vis-à-vis des difficultés qu’il exprime concernant la lecture de formats plus longs et denses. Pourtant, ses pratiques de lecture sont régulières (une heure et demi par semaine pour se mettre à jour sur les séries de manga en production qu’il suit, soit trois ou quatre « chapitres ») et il classe la lecture en seconde place dans l’ensemble de ses loisirs, derrière la musique et à égalité avec les jeux vidéo. Pour lui, lire, c’est avant tout voyager, s’évader : « du moment où c’est trop, trop… trop ancré dans notre monde actuel, ça m’intéresse pas, quoi ». Ses lectures sont marquées par le poids de la contrainte économique, qui apparaît régulièrement dans l’entretien, autour des questions d’approvisionnement, mais aussi par le rôle de la sociabilité lectorale, qui a eu une place importante dans la poursuite de ses pratiques de lecture, notamment via l’influence de sa petite amie.
Un univers lectoral centré sur le manga
Imaginaire et bande dessinées : des lectures d’évasion
Ce qu’il recherche dans la lecture, c’est avant tout « voyager » : « voir d’autres… d’autres univers. […] voir autre chose que ce que nous propose la vraie vie, quoi ». C’est pourquoi il apprécie particulièrement la fantasy et la science-fiction, à l’inverse des histoires réalistes, et notamment des récits sentimentaux, comme ceux de Marc Lévy, qu’il rejette. La présence d’éléments réalistes dans les récits ne l’intéresse que si ceux-ci sont présentés de façon décalée, à travers des projections futuristes, comme dans la série The Handmaid’s Tale qu’il regarde au moment de l’entretien, ou via des transpositions fantastiques, comme dans la bande dessinée Elfes, qui présente « un peu un côté politique […] Parce que ça parle de plusieurs Elfes différents : les Elfes de la forêt, les Elfes noirs… ».
Nathan lit principalement des bandes dessinées, et très peu de romans : « je mets dix plombes à lire un bouquin. Genre je vais lire un chapitre et je vais passer au deuxième, je vais oublier ce qui s’est passé ». Les rares romans lus qu’il cite appartiennent aux littératures de l’imaginaire, par exemple la saga Les Chroniques de Krondor, de Raymond E. Feist. La densité et la longueur des romans constituent souvent un obstacle pour ce jeune homme qui n’est pas toujours très à l’aise avec l’écrit, d’où sa prédilection pour la bande dessinée : « C’est compliqué à lire Le Seigneur des Anneaux, faut… faut s’accrocher, hein. J’ai lu Le Hobbit, mais en BD, du coup ».
S’il apprécie la bande dessinée franco-belge, ce sont surtout les mangas japonais qui retiennent son attention. Ces lectures s’inscrivent dans une passion plus générale pour la culture japonaise, il est par ailleurs bénévole dans une association qui en fait la promotion et participe à ce titre à de nombreuses conventions.
Ce qu’il aime dans les mangas, c’est surtout l’humour et l’aventure, particulièrement présents dans les shonen, qui racontent des histoires qu’il « aimerait bien vivre » :
« on aimerait tous avoir des sup… des pouvoirs, des super-pouvoirs, ça franchement, ce serait trop bien ! […] même, des fois les relations entre les personnages, euh, les amitiés qui se développent entre eux, tu te dis : « Putain, c’est trop bien ! ». Ou les aventures qu’ils vivent aussi ! C’est, ‘fin j’sais pas, il… il leur arrive plein de trucs, tu te dis : « Putain, ce serait trop bien si ça m’arrivait à moi aussi ! » ».
À côté de l’aventure à proprement parler, c’est également l’aventure humaine, l’intensité des relations qui se tissent entre les personnages qui sont pour Nathan propices à l’évasion. Il dit ainsi avoir été ému par la relation entre les pirates de One piece et leur bâteau, le Vogue Merry, presque humanisé dans le récit : « C’est des relations, tu te dis, bah t’auras j… nous, dans la vraie vie, on aura jamais ; moi j’aurai jamais une relation comme ça avec ma voiture (rire), par exemple ». La scène de la « mort » du navire correspond d’ailleurs au seul moment qui l’ait fait pleurer dans un manga.
Ces lectures lui apportent avant tout de la détente (« j’passe un bon moment […] Pour moi c’est un bon truc, lire, c’est un bon ‘fin, un bon moyen de décompresser aussi »), mais elles se prêtent également à des usages didactiques : en lisant des mangas, il découvre l’histoire du Japon et renforce ses connaissances culturelles (« Ils se basent sur plein de trucs qui existent […] j’pense que dans les mangas, y’a pas mal de culture »). Malgré ses difficultés face à l’écrit, Nathan lit chaque semaine les nouveaux chapitres des mangas qu’il suit, « le soir après le boulot » ou les weekend où il n’a rien de prévu.
Contrairement aux romans dont il peine à citer titres et auteurs au cours de l’entretien, il fait preuve d’une bonne connaissance des mangakas et de leurs styles respectifs. Il explique éviter de lire plusieurs mangas du même auteur car leur style est souvent trop proche. Il a également essayé de lire des mangas d’auteurs français, comme Zerriouh, mais préfère le style japonais, au niveau du dessin et de l’expression des personnages. Bien que ne lisant pas lui-même le japonais, il évoque les différences de traduction entre éditions papier officielles, qui prendraient selon lui quelques libertés avec le texte, et les traductions amateures des versions scannées, qui seraient plus fidèles aux versions originales. Ces réflexions attestent d’une connaissance de l’édition française de mangas et de ses procédés (adaptation à un public francophone, parfois plus jeune que le public initialement visé, et transposition de références culturelles que les fans familiers de la culture japonaise se permettent peut-être de traduire plus littéralement pour les versions destinées au partage sur le web), probablement acquise au contact de la communauté des fans.
De façon plus générale, ses choix de lecture sont d’ailleurs guidés par le style du dessin, qui doit être « accrocheur », tout comme le titre, « super important ». Il ne cherche pas à se distinguer par des lectures originales mais fait plutôt confiance aux titres « ultra populaires que tout le monde a lus ». Il ne se renseigne pas sur les nouveautés de façon active, mais il lui arrive de découvrir de nouvelles séries en convention, comme My Hero Academia à la Japan Expo, et se fie surtout au bouche à oreille « en fait, comme on en entend de partout parler, ça va forcément me venir à l’oreille ! […] par des gens, des collègues de boulot, en général, qui lisent aussi des mangas, qui sont plus à la page que moi sur les… l’actualité ».
Un approvisionnement sous contraintes
L’exemple de la lecture de mangas illustre particulièrement bien la contrainte économique qui pèse sur les pratiques culturelles de Nathan. Il préfère en effet lire en format papier, et posséder ses propres mangas, mais ses achats sont fortement limités par son budget restreint :
« je préfère les avoir, en vrai même… Même là, hein, les mangas que je lis en scans, j’aimerais bien les avoir en papier, moi, hein ! Parce que déjà, c’est beau ! De tenir le papier, et le papier manga, il est super agréable je trouve ! Et puis bon bah aussi, ça finance le mec qui les fait quoi ! […] Je les lis en scans ouais, (rire) j’avoue, j’ai honte, mais j’avoue que je le fais. Après ça n’empêche pas que, quand je pourrais acheter… parce que ça coûte cher aussi hein les mangas ! ».
À défaut de pouvoir acheter tous les mangas dont il aurait envie, il en lit donc des versions scannées, c’est à dire piratées, diffusées sur internet par d’autres amateurs, sur des sites spécialisés (notamment www.lirescan.me).
Ce mode de diffusion possède également ses avantages, puisque les derniers chapitres sortis au Japon (publication hebdomadaire) sont disponibles immédiatement, et surtitrés très rapidement par une communauté de fans. Le rythme de lecture est alors plus rapide que celui des tomes papiers des éditeurs français, qui attendent qu’un certain nombre de chapitres soient produits pour les traduire et les rassembler en un volume (un tome tous les trois-quatre mois pour One piece par exemple). Ainsi, à côté de motivations économiques, c’est aussi le suspense, l’envie de connaître la suite de l’histoire qui poussent Nathan à lire ces versions scannées.
Pourtant, cette lecture numérique ne concerne pas tous les mangas qu’il lit : il fait une exception pour One Piece, son manga préféré, dont il attend la sortie française pour acheter les nouveaux tomes, à l’Espace culturel Leclerc ou chez Cultura, ainsi que pour Dragon ball, le premier manga qu’il a lu et aimé dont il continue de suivre les dernières sorties. Il dépense ainsi une trentaine d’euros par ans pour compléter sa collection. La préférence donnée à l’achat papier, avec les coûts qu’il implique, financier mais aussi émotionnel puisqu’il s’agit d’attendre sans se faire spoiler l’intrigue par celles et ceux qui auraient lu la version scannée, est ici spécifique à ces deux titres au statut privilégié.
S’il en avait les moyens, il achèterait beaucoup plus de mangas, car il aime les avoir et en faire la collection. Il en possède actuellement une centaine, rangés dans l’ordre et par série dans sa bibliothèque.
Passion et savoir-faire : des lectures didactiques occasionnelles
À côté de ces lectures d’évasion, Nathan effectue également quelques lectures didactiques, beaucoup plus occasionnelles. Passionné de musique et joueur de guitare, il a suivi une formation professionnelle dans le domaine de la lutherie. Il lui arrive donc de lire des livres ou des magazines qui parlent de guitare ou de travail du bois, « des articles de luthiers, […] pour rester un peu informé de ce qui se fait à l’heure actuelle », étant donné qu’il n’a pas encore réussi à trouver de travail dans ce domaine au moment de l’entretien. Il ne s’intéresse pas à l’actualité musicale, mais à des questions plus techniques, comme l’histoire de la guitare (« j’aime bien savoir un peu comment a évolué le… l’instrument »), les caractéristiques des différents modèles et le travail des luthiers. Ces lectures sont orientées vers la pratique : les questions théoriques, comme l’accoustique, la théorie musicale, ou le fonctionnement des appareils de musique amplifiée, qu’il trouve plus difficiles à appréhender et qu’il associe à des souvenirs de cours qui lui ont posé problème, l’intéressent moins. Peu régulières, ces lectures sont plus souvent le fait du hasard que d’une recherche active d’informations : il s’agit de magazines, ou de « beaux livres » écrit par des luthiers et richement illustrés, qu’il feuillette quand il « tombe dessus » à la bibliothèque, ou que sa petite amie qui y travaille en tant que vacataire lui en rapporte quelque chose susceptible de l’intéresser, voire exceptionnellement de cadeaux qu’il a reçus. Ici encore, le prix de ces produits culturels est cité comme un frein à leur consommation.
Par ailleurs, Nathan rejette toutes les lectures concernant l’actualité et exprime une méfiance particulière vis-à-vis des médias, qu’il critique en outre pour leur pessimisme : « je m’en éloigne le plus possible, parce que… on nous prend vraiment pour des cons (rire), j’ai envie de dire […] les journaux, tout ça, là… pour moi, ‘fin déjà ils nous racontent que les mauvais trucs. À croire qu’il se passe jamais rien de bien dans le monde ! […] puis même j’ai l’impression qu’on passe plus de temps à nous désinformer qu’à nous informer dans les médias, donc ça j’y écarte le plus possible ». Il n’écoute pas la radio et ne regarde pas la télévision. Il évite les réseaux sociaux pour des raisons similaires, à l’exception des « espèces de flash-annonces qu’ils font là sur Insta ou des trucs comme ça ». Il ne précise pas les motifs exacts de cette suspicion au cours de l’entretien, mais sa prise de recul vis-à-vis des grands médias fait écho dans une certaine mesure au rejet des élites qu’il exprime à travers ses opinions politiques. Il se dit en effet de gauche, proche des opinions de Philippe Poutou mais sans se reconnaître dans aucun parti, et dénonce la déconnection des hommes politiques avec la réalité de la vie d’une majorité de Français.
Un parcours lectoral en bandes dessinées
Premières lectures avec l’école
Nathan évoque Les Schtroumpfs et Lucky Luke, dont les albums étaient présents chez lui, se remémore les « petits livres avec des images » qu’il lisait avec ses parents à l’époque où il a appris à lire, dont les titres lui échappent. Malgré la présence de livres à la maison, ses parents lisent très peu (seulement quelques témoignages ou biographies du côté de sa mère), et Nathan semble appartenir à la catégorie de jeunes lecteurs que Fanny Renard qualifie de « tard-venus », c’est à dire ceux qui ont découvert la lecture à l’école, parallèlement à l’apprentissage du déchiffrage (à l’opposé des initiés, déjà familiarisés avec la lecture de récits longs avant leur entrée au CP). Nathan n’évoque en effet aucune expérience de lecture à voix haute avant son entrée à l’école primaire. Il est à cet égard révélateur que le premier livre lu qu’il cite est le manuel de lecture Ratus : « ça c’est le premier truc que j’ai lu ! Bah c’était une BD, du coup ! […] Pour apprendre à lire, bah c’était trop bien ! ». À cette période, il s’approvisionne à la bibliothèque de l’école, puis à la bibliothèque municipale, mais uniquement en bandes dessinées :
« tous les trucs que j’ai lus pour moi, c’était les… les BD et les mangas. Donc, ouais, en revenant dans le temps, ouais, en fait, j’ai commencé par de la BD et j’y suis toujours en fait (rire) ».
Découverte des mangas au collège
Petit, Nathan regardait déjà les adaptations de mangas qui passaient à la télévision française, et notamment le Club Dorothée, mais c’est au début du collège qu’il découvre la lecture de ces récits japonais dans leur format dessiné original : « « je pense que c’était à mon année de 5ème. […] Avec Dragon Ball, et Samurai Deeper Kyo, ça je m’en souviens ». Il y retrouve alors le plaisir des dessins animés qu’il regardait plus jeune. Il mentionne également Love Hina et Punpun comme titres marquants. Dès ces premières lectures, la contrainte économique conditionne ses modes d’approvisionnement, puisqu’il lit principalement des titres empruntés à la bibliothèque ou à des amis. Sa collection de Dragon ball trouve son origine dans une benne d’invendus où son père avait récupéré de nombreux tomes sur son lieu de travail.
Nathan évoque quelques lectures scolaires parmi ses souvenirs d’enfance, souvent teintées négativement, comme L’Odyssée d’Homère, à laquelle il n’avait « jamais rien compris », « les poèmes » ou « les Molière ». Il critique l’analyse littéraire effectuée en cours de français, qui relève selon lui d’une sur-interprétation. Il distingue nettement ces lectures obligatoires des lectures personnelles effectuées pour le plaisir, texte romanesque, poétique ou théâtral d’un côté, bande dessinée de l’autre : « toute la littérature que j’ai lue c’était pour l’école, donc ça m’a jamais motivé, en fait ».
Ses lectures de mangas, décrites comme assez denses à la période du collège, vont décliner face à une autre pratique, celle des jeux vidéo, présente chez Nathan depuis le primaire (« j’ai commencé à avoir la console, j’étais en CE1, ou fin de CP […]. Où j’ai commencé à beaucoup jouer, mais je lisais encore »), mais qui se développe en fin de collège avec l’arrivée d’internet et des jeux en ligne, au détriment de la lecture, et s’impose tout au long de sa scolarité lycéenne. L’intérêt pour les mangas réapparaîtra plus tard, vers 18-19 ans, grâce à des prescriptions de pairs (amis et petite amie).
Une orientation professionnelle progressive
Après le collège, Nathan, désireux de « faire quelque chose de ses dix doigts », intègre un lycée professionnel où il prépare un CAP Ébénisterie. Cette formation lui plait beaucoup (il précise au cours de l’entretien que c’est lui qui a fabriqué la plupart des meubles du salon où nous discutons), mais suite à une blessure sportive il rencontre quelques difficultés en atelier et n’est pas accepté en Bac pro pour continuer dans cette voie. Il enchaîne donc avec un CAP Tapisserie d’ameublement, ce qui lui plait moins, puis candidate à nouveau en Bac pro, ce qui se solde par un nouvel échec. Il passe ensuite une année au chômage, au cours de laquelle il effectue quelques missions d’intérim tout en réfléchissant à son avenir professionnel. Il se souvient alors avoir commencé la fabrication d’une guitare au cours de son premier CAP, et décide de finaliser ce projet. Un ancien professeur d’ébénisterie lui conseille de suivre une formation complémentaire sur la fabrication d’instruments de musique.
Puis, il entend parler d’une école de lutherie britannique, où l’apprentissage est axé sur la pratique et la fabrication (au contraire des formations françaises, qui comprennent trop de cours théoriques selon lui).
Une fois sa candidature à l’école de lutherie retenue, Nathan effectue un emprunt à la banque pour compléter son budget. Ce séjour en Angleterre a constitué une expérience majeure dans son parcours, à la fois au niveau professionnel mais aussi en termes d’ouverture culturelle et de sociabilité. À son arrivée, il ne parle pas du tout anglais, mais va apprendre « sur le tas », même si cela s’est avéré « très difficile les six premiers mois ». Les cours sont en anglais, mais sa promotion comprend plusieurs français qui s’entraident. Il progresse également grâce à son colocataire et à un couple d’amis, qui « ont pris le temps » d’échanger avec lui, notamment autour de leur passion commune pour les jeux vidéo. À côté de la formation qui le passionne, il découvre d’autres milieux sociaux, d’autres manières de penser, une société différente : « en fait on a grave des barrières en France, des barrières sociales qui ont pas lieu d’être… Ne serait-ce qu’en vouvoyant les gens ». Et c’est cette ouverture culturelle qu’il recherche désormais dans ses lectures : « One Piece, j’vais retrouver énormément… Dans… dans les peuples que Luffy et son équipage, ils vont rencontrer ». Il fait le lien entre ce désir d’évasion, qui s’exprime dans ses goûts lectoraux, et les deux années passées en Angleterre : « en fait j’me vois pas, j’vois pas ma vie… j’me vois pas finir ma vie en France […] J’ai l’impression d’avoir fait le tour du système ».
Engagement associatif et sociabilité lectorale
Depuis son retour en France, quatre ans auparavant, il vit chez ses parents, et travaille pour rembourser son emprunt étudiant et payer sa voiture, principalement en intérim. Les dettes contractées, avec l’exigence de revenus réguliers qui les accompagnent, l’ont empêché jusque là de prendre le temps de chercher un emploi stable dans son domaine de prédilection. Il ne cache pas cette motivation pécunaire face à des emplois souvent dévalorisants (« là à l’heure actuelle, je ramasse des palettes et les poubelles […] T’façon, moi ce qui me motive c’est l’argent »). Idéalement, à défaut de réussir à exercer comme luthier, il aimerait trouver un CDI dans un magasin de musique, et envisage au moment de l’entretien de postuler chez Cultura.
Au cours de son séjour en Angleterre, Nathan a évolué, et à son retour, il ne se retrouve plus trop dans « sa vie d’avant », y compris dans ses anciennes relations sociales. Cela occasionne une période de déprime importante, dont il va sortir à l’aide de son jeune frère, lui aussi amateur de mangas et fan du Japon, qui l’emmène en convention. La passion pour le Japon de Nathan va alors se développer à travers la fréquentation assidue d’évènements liés à la culture nippone et la rencontre d’autres lecteurs de mangas. Il rejoint une association de promotion de la culture japonaise, dont il intègre le bureau, et avec laquelle il anime régulièrement des stands le weekend, surtout autour des jeux vidéos et des mangas, lors des événements dédiés au Japon (Japan Expo et ses déclinaisons à l’échelle locale). Il lui arrive désormais souvent de parler mangas avec ses amis, notamment des dernières sorties ou des nouvelles séries parues. En revanche, il ne parle plus beaucoup de mangas avec sa petite amie, qui s’est tournée vers d’autres types de lectures. Il rêverait d’aller au Japon, mais le voyage est trop cher pour lui.
Si ses lectures sont toujours centrées sur les mangas, ses goûts ont évolué au cours du temps. Il se dit désormais « plus sélectif » et attentif à l’histoire. Il fait le lien entre le développement de cette compétence critique et l’influence du colocataire très cinéphile avec qui a vécu en Angleterre. Il associe en outre au gain de maturité et d’expérience de vie une meilleure compréhension des récits et de leurs enjeux :
« on capte pas spécialement euh, quand on est… quand on est ados ou même quand on est gosses […] quand on commence à travailler et tout, on commence à voir la réalité de la chose […] Je suis plus sensible à certaines choses, à certains événements qui vont se passer dans le manga, ou dans la BD, que avant, quoi ».
Univers culturel et représentations de la lecture
Dans l’ensemble des loisirs de Nathan, la lecture arrive en seconde place, derrière la musique, qui occupe une place essentielle pour lui : « Jouer, écouter, euh… Voir, ‘fin, aller en concert, et tout, ouais. Ça c’est, c’est primordial, et après j’pense la lecture, et les jeux-vidéos ». Son père lui a transmis le goût pour le métal et le hard rock (Metallica, Iron Maiden, Jimmy Hendrix ou encore Black Sabbath), mais il écoute aussi un peu de pop et de rock. Il joue de la guitare, et va souvent voir des concerts. C’est un poste de dépense qu’il s’accorde facilement dans la mesure où l’expérience de la musique live est pour lui irremplaçable. Sa pratique des jeux vidéo est moins soutenue qu’à la période du lycée. Il va de temps en temps au cinéma, et il lui arrive d’accompagner sa copine voir une exposition au musée : « c’est pas souvent, puis c’est surtout [en ville] qu’on va donc euh… C’est surtout pour ça que c’est pas souvent, parce que monter [en ville] en voiture, euh, ça coûte hein ! ». Il poursuit le travail du bois à titre de loisir, et aimerait avoir d’autres pratiques artisales, comme la reliure de livres, s’il avait plus de temps disponible et de moyens.
Bien qu’il lise lui-même beaucoup de mangas en version scannée, pour des raisons économiques, il désapprouve le principe de la lecture numérique, et aime « avoir un bouquin dans les mains » : « c’est un peu la mort du livre papier, quoi […] c’est tellement triste ! (rire) Une bibliothèque, où y’a plus rien, y’a plus que la liseuse ». Pour lui, une mauvaise lecture, c’est une lecture décevante (et non la lecture d’un texte peu légitime), en particulier quand le scénario n’est pas cohérent, ce qui le « sort » de l’univers. On est loin de l’idéal lettré de la lecture distanciée, puisque c’est au contraire pour lui l’échec de l’immersion qui caractérise la mauvaise lecture. Il fait rarement face à des jugements négatifs sur ses lectures de mangas, mais parfois à de l’étonnement face à ces bandes dessinées qui se lisent « à l’envers ». Bien qu’il n’en lise pas lui-même, il aime l’idée des fanfictions qui « continuent à faire vivre l’œuvre ».
Pour lui, être lecteur, ça donne une image « d’intello », ce qu’il considère « archaïque » :
« c’est pas réaliste, parce que, à l’époque où les gens qui pouvaient lire, c’était des gens qui étaient cultivés, qui avaient appris la… Qui étaient lettrés, et tout. Maintenant 99% de la France, elle est lettrée […] Donc, techniquement la lecture maintenant, c’est accessible à tous, donc euh, ça devrait plus être un truc d’intello ! ».
D’après lui, les gens ne lisent plus les mêmes choses, ni de la même façon, qu’autrefois, car la société et les mentalités ont changé (il cite notamment l’exemple des droits des femmes), et avec elles, les attentes des lecteurs.
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