Saigneurs
de Raphaël Girardot et Vincent Gaullier

Sortie en salle le mercredi 1er mars 2017.

Vitré, « aux portes de la Bretagne, du Maine et de l’Anjou » comme l’annonce le site officiel de la ville, possède un abattoir industriel, la SVA, de 1400 salariés. Pendant un an, Raphaël Girardot et Vincent Gaullier ont filmé le travail des ouvriers sur les quatre lignes où défilent bovins, veaux ou agneaux. Saigneurs n’est pas un film sur les conditions d’abattage des animaux et se place résolument du côté des hommes.

photo du film
Saigneurs © Iskra, Mille et Une Films, 2015

L’avis de la bibliothécaire

Le hall d’abattage

Le hall d’abattage est le lieu du film : là se déroule la première étape de la chaine, (après la tuerie), la carcasse y est dépecée et vidée de ses abats.

Les ouvriers existent encore

L’objectif est de montrer la dureté de la condition ouvrière. Tous les mois, les cinéastes ont endossé la tenue de travail pour une période de trois ou quatre jours. Ils ont accompagné Simon, Stevens ou Angelo et d’autres sur leur poste d’une surface d’un mètre carré. Une heure de travail donne droit à trois minutes de pause. 1200 agneaux, 5 à 600 bovins sont tués et dépecés chaque jour. Les séquences des bilans collectifs et mensuels sur les accidents de travail rappellent la dangerosité et la pénibilité. Le métier « casse du bonhomme » : points de suture, troubles musculaires, épaules fracassées, coups de couteau…
Les plans larges donnent de l’ampleur aux gestes techniques des bouchers : légèrement de trois quart pour cerner à la fois la carcasse animale et la précision du geste de  l’ouvrier avec le couteau ou la machine. Les gros plans sur les visages, nombreux, permettent de retrouver l’humain derrière les postures techniques. On décèle la gamme des sentiments qui affleurent : la concentration pour la reprise après une pause, l’appréhension de celui qui peine à suivre la cadence.

Le gris, le blanc et le rouge

Trois couleurs dominent : le gris des machines, des chaines, des crochets ; le blanc, celui des murs carrelés, des tenues de travail, veste, casque, tablier protecteur, pantalon, bottes ; et le rouge du sang, éclaboussures sur le visage, tâches sur les vêtements, flaques au sol. Impératif d’hygiène ou obsession de propreté ? Les deux sans doute,  les ouvriers ne cessent de laver leur poste de travail, leur tablier, les gants. Le souci de surtout ne pas garder de trace sur soi, ou sur son visage, est aussi révélateur du tabou qui demeure sur le métier.

On ne pense plus à rien ici, on ne pense pas !

Les paroles sont comme volées au travail. Le hall est si bruyant que chaque ouvrier porte des bouchons d’oreille ; cela interdit presque totalement la parole. On mesure combien les dialogues ébauchés entre les cinéastes et les ouvriers sont inhabituels. La proximité créée a permis à Raphaël Girardot de poser les questions difficiles : à quoi tu penses quand tu travailles ? L’un répond « On ne pense plus à rien ici, on ne pense pas ! », un autre : « À rentrer chez moi ! ». Et à la question : « tu parles de ton travail à l’extérieur ? », on lui rétorque : « Pas trop. Quand je le fais, on me demande surtout d’arrêter d’en parler ! ». La mort fait partie du métier, certains composent avec, d’autres sont dans le déni. Plusieurs expriment leur capacité à durer.
 
« Je te frapperai sans colère et sans haine, comme un boucher »  

Le vers est de Baudelaire dans un poème intitulé L’Héautontinorouménos. Il est cité dans un autre film sur les abattoirs, Le Sang des bêtes, du cinéaste Georges Franju, plus connu pour Les Yeux sans visage. Il  est tourné en 1949, aux abattoirs de Vaugirard et de La Villette. Là, le réalisateur, sans tabou, y montre la mort d’un cheval, d’une vache, par un coup de merlin. Le commentaire écrit par Jean Painlevé rend hommage au métier, il termine le film sur ces paroles : « Sans colère et sans haine et avec la simple bonne humeur des tueurs qui sifflent, ou chantent, en égorgeant, parce qu’il faut bien manger chaque jour et faire manger les autres, au prix d’un très pénible et souvent dangereux métier. »
Le film de Raphaël Girardot et Vincent Gaullier ne nous montre pas d’image de la mise à mort de l’animal (c’était une condition du président de la SVA) mais ils avaient bien le même objectif que Franju : redonner une dignité aux ouvriers des abattoirs.

Rappel

Saigneurs, de Raphaël Girardot et Vincent Gaullier, production Iskra, Mille et une Films, 2015, 1 h 30 min

Distribué en salle par Iskra

Distinction 2016 : sélectionné au Festival Cinéma du réel dans  la section Compétition française – Film soutenu par la Commission nationale de sélection des bibliothèques, animée par l’association Images en bibliothèques (www.imagesenbibliotheques.fr)

Publié le 02/03/2017 - CC BY-SA 4.0

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