Temps morts
de Vincent Dieutre et Julien Thèves.

« 17 mars 2020. Au premier jour du grand confinement, c’est la stupeur. Mais notre producteur, Stéphane Jourdain, nous propose de tirer de ce temps si particulier une forme, un film, nous avons carte blanche. Dans le cadre du projet La Vie sur terre 2020, Julien et moi tiendrons ainsi une correspondance vidéo-téléphonique régulière jusqu’au 11 mai. Entre Belleville désert et un moulin normand un peu fantomatique, les peurs, les désirs, les lectures, l’information, envahissent peu à peu nos échanges vidéo quotidiens et finissent par tisser un regard queer et poétique sur cette traversée du temps sans précédent. Entre expérience subjective et réalité collective du confinement, un film se trame… »

L’avis du bibliothécaire

Nous sommes en guerre !

Temps morts s’ouvre au son de La Marseillaise suivie d’un discours martial du président de la République, Emmanuel Macron, sur la pandémie de covid-19 faisant irruption en ce début d’année 2020 : « Nous sommes en guerre ! » À l’image, des arbres défilent, filmés depuis le train qui emmène le cinéaste Vincent Dieutre en Normandie, au Moulin d’Andé, édifice du 12^e siècle en bord de Seine semblant sorti d’un roman de Maupassant. Vincent Dieutre vient travailler à son nouveau projet de film, This is the End, dans cette résidence d’artistes, lieu de manifestations culturelles, de création, de partage et d’échange qui a servi de décor à François Truffaut pour certaines séquences de Jules et Jim. « J’ai finalement gagné le moulin d’Andé in extremis. J’avais peur de rester à Paris dans mon petit studio, tout seul, confiné. » 

Puis la campagne normande cède la place à des vues du parc de Belleville, dans le 20^e arrondissement parisien. « On est en confinement depuis trois heures et demi. Paris est tout calme, très peu de gens dans les rues, le parc de Belleville est fermé, les allées du parc sont vides, pas de rassemblement, pas de café, pas de cinéma, plus de déplacements, ça va être comme ça », explique l’écrivain, dramaturge et producteur à France Culture, Julien Thèves.

Vert printanier et béton gris

C’est une correspondance filmée entre les deux hommes, le temps du confinement, du 17 mars au 11 mai 2020. Vincent Dieutre montre la campagne normande où jaillit le printemps dans une symphonie de vert tendre, de chants d’oiseaux et d’éclosion de roses. Julien Thèves nous donne à voir un grand ensemble parisien en béton gris, filmé depuis les fenêtres de son appartement situé à un étage élevé. Vincent Dieutre nous dit qu’il n’est pas mécontent de vivre l’explosion des vies végétale et animale lui qui, à l’époque punk, ne jurait avec son ami Alain Pacadis que par la ville et le béton.

Corps et voix

Ces paysages sont complétés par des plans plus charnels. L’apparition de Dieutre se filmant dans un miroir nous fait comprendre que les deux hommes réalisent leurs images avec leur smartphone. Dieutre danse sur All Tomorrows Parties, la chanson du Velvet Underground, chantée par Nico, qu’Andy Warhol préférait. Le montage offre quelques courts plans plus intimes, sensuels, à distance. Quand il redevient possible de sortir, à condition d’être muni d’une attestation horaire dûment signée, Julien Thèves capte les déplacements de passants dans la rue de la capitale. On assiste à une réunion « zoom » où les deux hommes retrouvent d’autres amis. Quelques rares extraits de journaux télévisés s’immiscent dans l’ensemble.

La bande son fait entendre Vincent Dieutre jouant du piano ou chantant sur l’air que Carlos d’Alessio a composé pour le film India Song de Marguerite Duras, mais surtout les voix, la plupart du temps en off, du cinéaste ou de l’écrivain, la voix, signature de tout un chacun, la voix de Dieutre que l’on reconnait de film en film.

La musique Dieutre

C‘est un cinéma à la première personne, un film essai, une méditation poétique et aussi un document historique. On peut être plus ou moins sensible à l’art de Vincent Dieutre, en dialogue cette fois avec Julien Thèves, mais force est de constater qu’il a réussi à mettre en place une certaine économie de tournage, que la musique personnelle et hypnotique qu’il compose au fil de son œuvre fonctionne et qu’on s’y laisse embarquer avec plaisir.

Jacques Puy

Bande annonce

Rappel

Temps morts – Réalisation : Vincent Dieutre et Julien Thèbes – 2021 – 1 h 24 min – Production : La Huit – Distribution : À Vif Cinémas.